Quand la souffrance côtoie l’itinérance

Vincent Di Candido, Échos Montréal, janvier 2012

L'itinérance, dans notre société, est perçue comme la peste, qu'on souhaite éloigner de nous le plus loin possible. Pas dans ma cour, cette laideur qui fera baisser la valeur du quartier et de nos maisons. Pourtant, ces marginaux que l'on voudrait faire disparaître, c'est la société qui en est responsable, en raison de la désinstitutionalisation des années quatre-vingt-dix qui a amené les hôpitaux à accélérer les congés d'hospitalisation et à permettre la sortie dans la rue de milliers de malades mentaux souffrant de schizophrénie et de divers troubles de comportement. Le gouvernement souhaitait ainsi alléger la tâche des hôpitaux, mais il n'a fait qu'alourdir le système et qu'augmenter les dépenses générales en santé puisque maintenant y transitent régulièrement les itinérants venus se faire soigner, minés par la consommation de diverses substances ou en proie à des crises.

Cette situation navrante incite de nombreux professionnels de la santé à proposer des alternatives plus efficaces, telles que maisons de transition ou encore des programmes de soins à domicile. Un tel projet, déjà en application dans plusieurs provinces canadiennes, semble donner de très bons résultats.

Par ailleurs, il est pertinent de se questionner en profondeur sur les drames qui ont occupé l'actualité récente, où les itinérants Farshad Mohammadi et Mario Hamel ont trouvé la mort. Le premier, armé d'un exacto, avait auparavant causé des blessures à un policier au métro Bonaventure ; la balle d'un policier a aussi atteint le second, en état de crise, il y a environ un an sur la rue Saint-Denis ; une balle perdue a causé la mort du cycliste Patrick Limoges, dans le même incident.

Pourquoi les policiers ne se servent-ils pas plus souvent du poivre de cayenne ou du Taser en cas de menace violente de la part des interpellés, ou à la limite pourquoi ne tirent-ils pas dans le bas du corps, sachant qu'il ne s'agit pas ici de cas de grand banditisme ?

Une autre requête pressante qui revient périodiquement dans l'opinion publique serait que la police n'enquête plus… sur la police. En effet, les statistiques semblent démontrer qu'on met très peu d'empressement ou d'insistance à élucider les potentielles bavures policières. Ainsi moins de dix cas ont été l'objet d'enquêtes ces dernières années, et ce, malgré plusieurs centaines de plaintes.

Ce qu'il faut espérer, c'est que ces drames contribuent à sensibiliser l'opinion publique et les instances dirigeantes et engendrent une volonté claire d'améliorer l'intégration, dans une société que l'on dit civilisée, de cette tranche de marginaux et de laissés-pour-compte. Car l'on ne semble pas pour le moment constater de plan concret. On relira avec profit l'article de Joëlle Girard qui a paru dans notre dernière édition précisément sur ce sujet. Jocelyn-Ann Campbell, responsable du dossier à la Ville de Montréal, y décriait le manque de ressources et de coordination de la part du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Il est primordial de souligner les cris de détresse lancés par cinq organismes spécialisés dans l'aide à l'itinérance, soit Le Chaînon, la Rue des Femmes, Chez Doris, la Maison de l'Ancre et l'Auberge Madeleine, qui ont tous un besoin urgent de ressources financières devant l'augmentation du nombre de personnes dans le besoin, estimées à des dizaines de milliers dans la seule région de Montréal.

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