La reconnaissance, faits et méfaits

Mathieu Max-Gessler, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, le 14 décembre 2011

Les bénévoles ne reçoivent pas de salaire pour leur travail, qui est pourtant énorme. Bien sûr, avec une paye, ce ne serait plus du bénévolat ! Il existe toutefois une manière de les remercier pour leur travail : la reconnaissance. Mais lorsqu’elle devient le principal facteur de motivation de l’action bénévole, elle peut s’avérer traîtresse…

La reconnaissance ne se limite pas à la gratitude pour un geste posé de façon désintéressée. Selon le Dr Serge Marquis, spécialiste de la santé au travail, c’est aussi reconnaître l’existence de quelqu’un et lui donner de la valeur. Un geste qui se retrouve à la source même du bénévolat. « C’est en soi un geste de reconnaissance, car la personne donne gratuitement à quelqu’un qui en a besoin, explique le Dr Marquis. Les Centres d’action bénévole (CAB) sont des organismes où constamment peut s’exprimer la reconnaissance de l’autre. C’est merveilleux car on contribue à la santé psychologique de bien du monde. »

En effet, la reconnaissance agit directement sur l’estime de soi et peut faire une immense différence dans la vie des gens, comme l’a constaté M. Marquis. « J’ai vu une personne, cette année, qui mourrait dans une unité de soins palliatifs et les seules visites qu’elle avait étaient celles des bénévoles. Elle a pu mourir dans la paix parce qu’elle savait que ce n’était pas une « nullité » qui disparaissait, mais un être humain puisque quelqu’un lui faisait cadeau de sa présence. »

La reconnaissance peut pourtant devenir un piège. Ceux qui s’attendent à avoir de la gratitude pour les gestes qu’ils font s’exposent à de la déception. Dans le monde du travail, elle est même la principale source d’épuisement professionnel, selon le Dr Marquis. « Si je ne reçois jamais de feedback sur mon travail, je commence à douter du sens qu’il a. Il y a des gens qui sont tellement identifiés à leur emploi que le jour où ils cessent d’avoir de la reconnaissance, ils ont l’impression de n’être rien. »

Ce danger guette-t-il également les bénévoles ? France Cormier, directrice générale du Centre d’action bénévole (CAB) de Shawinigan, ne le croit pas. D’abord, parce que la reconnaissance fait partie de la mission du Centre : rencontres de comités, brunchs, cartes de Noël et journal des bénévoles, tout est en place pour qu’ils sentent que leur travail est apprécié. Ensuite, parce qu’ils ne cherchent pas à tout prix de reconnaissance de la part des personnes auprès desquelles ils s’impliquent. « La plupart qui sont chez nous n’en attendent pas parce que c’est un choix qu’ils font, explique Mme Cormier. Mais quand on fait des choses pour les remercier, ils sont toujours bien contents. Ils tiennent quand même à ce qu’on les reconnaisse, c’est leur seul salaire ! »

Vivre sans jamais attendre de reconnaissance semble une tâche difficile à première vue. « Toute notre vie on a été habitué à en attendre, concède le Dr Marquis. Quand on est enfant, elle est même nécessaire puisqu’elle contribue au développement de l’estime de soi. Il y a des personnes qui mesurent leur valeur à travers leurs actes, qui croient ne rien valoir si on ne leur dit pas merci. » Difficile… mais pas impossible ! « Il faut rappeler aux bénévoles que leurs gestes ont un sens extraordinaire dans ce qu’ils apportent aux autres et qu’ils doivent rester connectés avec ce sens-là, poursuit le médecin. C’est une des formes de bonheur les plus élevés qu’un être humain peut ressentir. »

 

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