Les Noëls de mon enfance

Jean-Claude Côté, Le Phare, L’Autre vision, Grande-Vallée, décembre 2011

Les Noëls de mon enfance à part la messe de minuit n’étaient pas si différents des autres jours de l’année. Si peu de cadeaux ? ! Peu de décorations sauf chez monsieur Yvon Fournier. Monsieur Yvon possédait un petit moulin à scie tout près de chez nous. En dépit du fait qu’il était sourd, il reelait les airs de monsieur Jos Richard en sciant les billots que les colons lui apportaient. De ses deux mains, il remontait son tablier gommé des pleurs de sapin, roulait les billes sur le charriage, leur plantait deux dogs, amenait à l’aide d’une manivelle, la bille prête à affronter la scie dans le bon sens des choses. Monsieur Yvon sciait des billots comme le bonhomme dans la lune, donnait le bran de scie et les « croûtes » comme on fait une aumône et nous permettait d’aller voir l’arbre de Noël de madame Berthe, sa femme. Quel arbre de Noël ? ! Chez monsieur Yvon, comme ailleurs, la pauvreté habitait en permanence. Mais, madame Berthe ne ménageait pas ses sous lorsque venait le temps de faire l’arbre de Noël. L’arbre avait été un beau sapin vert branchu à plein, récolté dans la forêt là, tout en bas de la montagne. Mais une fois rendu dans la maison de monsieur Yvon, il avait rencontré la fée Berthe. Car pour nous les enfants, madame Berthe faisait partie des légendes. Et madame Berthe avait montré à Dieu lui-même, comment on transforme du vulgaire sapin vert en un brillant arbre de Noël. L’arbre était d’abord recouvert d’une toison de cheveux d’ange, d’une blancheur à faire pâlir les montagnes. Puis, madame Berthe, faisant un recul de trois pas vérifiait que le « vert » avait disparu. Une bonne chose. La couche de fond de teint quoi ? ! En fait, je crois que l’arbre de Noël lui ressemblait. Et là, elle sortait ses boites de décorations remplies de boules multicolores, de glaçons, de fils d’argent, de petits anges, d’étoiles, des petits moutons. Il y en avait des dizaines de chaque sorte. Un petit Jésus en couche, histoire de cacher sa divine bizoune. Et bien sûr un père Noël et un gros ange avec des ailes dont le destin était de trôner au sommet de l’arbre. Enfants, nous tombions sous le charme. Et madame Berthe était heureuse, car faute de miroir, elle se reconnaissait dans l’arbre de Noël qui se reflétait dans nos yeux ahuris ? ! Pendant la messe du jour de Noël où elle avait prié pieusement, en pensant à sa dinde qui attendrissait dans le fourneau, et à son arbre de Noël qu’un soleil d’hiver mettait en feu, monsieur Yvon s’est éteint en silence, dans sa berçante. Sans dire adieu ? ! Son ange gardien l’avait accompagné une dernière fois en fredonnant religieusement les reels de monsieur Jos Richard ? !

Aujourd’hui, je n’écrirai rien du réveillon, des tourtières, des veillées de danses qui se pratiquaient malgré les objurgations du curé Bujold. À Petite-Vallée, pas de problème avec les remontrances du curé. On sait bien ? ! On dansait comme on prenait une marche dans le « jeu de babines ». Aucun calcul avec les minutes ; on commençait au début et on finissait à la fin. Et les enfants ? Quoi, les enfants ? Ils dormiront demain. On est en vacances. C’est le temps des fêtes ? ! Ainsi pensaient grand-père et sa sœur Emma ? ! Et le curé, en bon libéral, tacitement faisait collusion. Les violons que fabriquait l’oncle Didier se faisaient aller la volute, sous les doigts de virtuose de monsieur Moïse. À Grande-Vallée, on était jaloux des passe-droits du curé en faveur des gens de la Petite-Vallée. On craignait les sorts que pouvait jeter le saint curé. Alors, on dansait et prenait un p’tit coup en cachette, en espérant le meilleur et non le pire ? !

Dans notre pays de l’Estran, quelques génies sont nés pour ainsi dire avec un violon dans les mains. On a tous connu les Moïse, les Roch-Émile, les Didier, les Dassylva, les Isidore et beaucoup d’autres. Mais celui qui les déclassait tous (selon une enquête personnelle interne) c’était le violoneux Édouard Richard dit, « Ti-Douard ». Pour les funérailles de Roch-Émile, son grand chum, il a joué « les oiseaux blancs » ? ! La douleur a été trop forte. Ti-Douard n’a plus jamais joué à l’église.

 

Ti-Douard est né près de la mer, sur les bords de l’Anse-à-Colin. Enfant, Ti-Douard aimait entendre les bruits des vagues, puis le murmure du ruisseau qui coulait tout près. Il y trouvait des notes de musique que son oreille d’artiste enregistrait. Assis près de son grand-père Jos, il écoutait les airs que son aïeul jouait au violon et qui envoutaient l’enfant. Plus tard, vers l’âge de huit ans, le grand-père lui a prêté son violon en attendant de lui en fabriquer un. Monsieur Jos, comme l’oncle Didier, était luthier à ses heures. Le grand-père disait à son petit-fils : reele les airs, ça va t’aider à les apprendre plus vite. Alors Ti-Douard s’exécutait et reelait si bien toutes les pièces que le grand-père en était ému.

« Quand j’voulais apprendre un nouveau morceau, je demandais à mon grand-père de l’jouer, pis j’m’assisais dans les marches de l’escalier pour l’écouter. Quand j’avais entendu l’morceau pis r’gardé aller ses doigts, j’montais dans ma chambre, j’lassais la porte ouverte, et assis sur l’bord de mon lit, j’prenais mon violon pis j’essayais de jouer en même temps qu’lui. Quand j’étais capable de jouer l’morceau d’un bout à l’autre, je r’descendais et j’disais : « peupi » j’pense que je l’ai pogné. Après on jouait l’morceau ensemble. J’ai toujours voulu apprendre par moi-même, à ma manière. »

Quand il se produisait, Ti-Douard avait toujours fière prestance. Derrière une allure austère et au caractère quelquefois malcommode se cachait un bonhomme jovial, plein d’humour dont les réparties faisaient rire. Un homme surtout d’une grande sensibilité. Dans toutes les salles où il était invité, il portait chemise blanche, cravate et souliers cirés. Il fallait que ses souliers soient cirés et aussi luisants que l’était son chef dégarni. N’allez surtout pas lui marcher sur les pieds ? ! Il devenait malin ? ! Mais son jeu lui, était tout en intelligence, en souplesse et en finesse. UNIQUE ? ! À sa manière. Bon Dieu que le monde était déçu quand Ti-Douard ne pouvait être au rendez-vous.

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