Inaccepter l’inacceptable

Catherine Girouard, L’Itinéraire, Montréal, le 15 novembre 2011

Au square Victoria, dans les allées bordées des tentes des indignés d’Occupons Montréal, tout est calme. Beaucoup de jeunes sont présents. À la « cuisine du peuple », on prépare de bons plats distribués gratuitement. Au comité social, on planifie la prochaine conférence qui sera donnée. Un peu plus loin, on se réchauffe en bougeant au rythme des tam-tams, tout en échangeant des idées pour construire un monde meilleur. Bref, on manifeste son indignation contre les injustices du monde actuel. Et cette indignation, elle est belle, juste et nécessaire.

Plusieurs Québécois n'en semblent pourtant pas convaincus. La même question revient souvent dans les débats : a-t-on autant de raisons de s'indigner chez nous qu'aux États-Unis, d'où le mouvement mondial est parti ? Là-bas, les citoyens ont des raisons de se plaindre, ai-je entendu, touchés par les conséquences catastrophiques des crises économiques. Mais au Québec, pourquoi se plaint-on ? Notre taux de chômage est moins élevé qu'aux États-Unis, nos pauvres sont mieux traités, nous avons un filet d'aide sociale pour eux, nos soins de santé sont « gratuits »

Aurait-on perdu à ce point notre capacité d'indignation, au Québec ? Sommes-nous aveugles à ce qui nous entoure ? « Le pouvoir de l'argent (n'a jamais été aussi grand, insolent, égoïste, avec ses propres serviteurs jusque dans les plus hautes sphères de l'État. Aux jeunes, je dis : regardez autour de vous, vous y trouverez les thèmes qui justifient votre indignation (Ce cri du coeur lancé par Stéphane Hessel- âgé de 94 ans ! – dans son essai Indignez-vous ! s'applique autant chez nous qu'aux États-Unis ou en Europe. Pauvreté, iniquité, manque de logements abordables, décrochage scolaire, burn-out, collusion et corruption, crises économiques, individualisme inquiétant… Il me semble qu'on ne manque pas de raisons de s'indigner !

On a aussi beaucoup reproché aux indignés de Montréal de ne pas savoir ce qu'ils veulent, de ne pas avoir de revendications claires… La chroniqueuse du Journal de Montréal, Nathalie Elgrably-Lévy, est même allée jusqu'à expliquer le mouvement par la bête ignorance de ses militants, qui agiraient sans le savoir pour un mouvement communiste ! Vous êtes jeunes et inquiets pour votre avenir, dit-elle aux occupants de Montréal. Vous voulez une vie meilleure. (Comme le système d'éducation contemporain ne vous a enseigné ni l'histoire ni les fondements du communisme, vous devenez la cible des vendeurs de rêves. (Toutefois, quand on aspire à changer le monde, l'ignorance est inacceptable ! »

J'invite toutes les personnes convaincues de l'inconscience des militants du mouvement à aller faire un tour au square Victoria. Je m'y suis rendue. J'y ai rencontré des gens instruits, conscientisés, mobilisés, humains et remplis d'espoir pour un monde meilleur. Tout sauf une bande de communistes en devenir. Vous y trouverez des gens qui en ont marre d'être « nés pour un petit pain ». Marre qu'on ne se surprenne plus de voir des gens dormir sur les bancs de parc dans un pays aussi riche que le nôtre. Marre que la santé de notre économie ait plus d'importance que la santé des citoyens de cette économie. Marre qu'au Québec, on traite les gens qui osent s'indigner de braillards qui chialent « encore ».

À quel moment en aurons-nous assez ? « Nous ne sommes pas nés pour produire et survivre, pour s'enrichir et prospérer, mais bien pour aimer, partager et grandir, fait valoir un des membres organisateurs du mouvement Occupons Montréal dans une lettre envoyée à L'Itinéraire, rappelant que la clef du mouvement est l'éveil de la conscience collective. Des milliers, voir des millions de gens se sont unis partout dans le monde pour demander un monde meilleur, pour unir leurs voix mais surtout, pour redonner un sens de solidarité et d'unité à la race humaine. »

À mes yeux, ce mouvement vaut la peine d'être défendu bec et ongles. Car comme le dit si bien Dan Bigras dans la préface du dernier livre de Françoise David, « Le premier pas d'une société saine est d'inaccepter l'inacceptable, de rêver son bonheur et de le bâtir équitablement pour tous et pour toutes. »

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