Marjolaine Jolicoeur, L’Horizon des Basques, novembre 2011
Depuis près de quarante ans, Bernard Vachon à la « passion du rural », comme l’indique le titre de son plus récent ouvrage, premier tome d’une trilogie de quelques l 600 pages publiée aux Éditions Trois-Pistoles et dans laquelle il trace l’évolution de la ruralité québécoise. « J’ai consacré mes enseignements, ma recherche et mon implication citoyenne à la défense, au renouveau et à l’épanouissement des territoires ruraux du Québec », écrit-il.
Détenteur d’un doctorat de la London School of Economies and Political Science en Angleterre et de l’Université de Liège en Belgique, M. Vachon est maintenant à la retraite après avoir enseigné pendant plus de trente ans au département de géographie de l’Université du Québec à Montréal. Il a publié de nombreux livres ou articles sur le développement local, tout en participant activement, en 1991, aux États généraux du monde rural en tant que coordonnateur de l’équipe des chercheurs. À la tête de la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) de Trois-Pistoles pendant quelques mois dans les années 80, il a organisé, entre autres activités, un colloque pour déterminer « quel avenir pour la MRC des Basques ? Stratégies pour ne pas disparaître.»
Un retour à la terre
Cette passion du rural, ce professeur et chercheur l’a vécue non seulement avec sa tête mais aussi avec son cœur. A la fin des années ’70, il a fait un retour à la terre à Saint-Mathieu-de-Rioux. Avec sa femme Francine Coallier – qui a collaboré à certains de ses ouvrages – la famille s’est lancée dans l’élevage du mouton et de la transformation de la laine sur une fermette au joli nom de « Chantemerle ». Pour lui, comme pour d’autres néo-ruraux, « ce n’était plus une fatalité que de vivre en milieu rural, mais un choix de vie. » Leurs trois enfants vivant maintenant au loin, le couple ne passe plus que quelques mois par année dans leur campagne, avec des poules et un grand jardin.
Très attaché à la beauté et la tranquillité de son rang d’où on aperçoit au loin le fleuve et les montagnes de Charlevoix, M. Vachon raconte qu’il y a à peine cinquante ans « quatorze familles agricoles vivaient ici. On y retrouvait une école de rang, une beurrerie et une scierie. C’était un milieu typiquement agro-forestier. Aujourd’hui, tout cela a disparu. Maintenant, plusieurs résidents travaillent à l’extérieur tout en ayant une maison ici. »
Partir ou rester ?
La campagne est en train de se renouveler. Beaucoup de jeunes viennent s’installer en région pour y initier des projets et les technologies nouvelles de communication permettent de travailler à domicile. « Lors de mon passage à la SADC des Basques, je me souviens que, pour beaucoup de gens, c’était un choc quand nous leur disons que l’agriculture et la forêt ne pouvaient plus être le centre de l’économie. Ils croyaient que ce n’était qu’une période difficile à traverser, que cela allait revenir. Mais ça n’est jamais revenu. Il est important que nous prenions conscience de cette réalité pour pouvoir ensuite formuler des politiques, des programmes et des mesures adaptées à cette ruralité en mutation. »
En 1931, lors du premier recensement en milieu rural, on dénombrait 135 000 fermes au Québec. En 1950, environ 100 000. Aujourd’hui il ne reste plus que 28 000 fermes, ce qui fait dire à M. Vachon « qu’on ne fait plus la ruralité avec un tel nombre de fermes. Si on veut maintenir une ruralité québécoise, forte, vivante et dynamique, il faudra absolument diversifier l’activité économique. La campagne en séduit plusieurs, il faut donc leur offrir un milieu stimulant au niveau social, culturel et touristique. Favoriser aussi l’accès à des écoles primaires, secondaires et des garderies. On devra mettre en valeur la spécificité et l’originalité de la campagne pour qu’elle ne soit plus une terre d’exode mais plutôt une terre d’accueil. »
La Politique nationale de la ruralité a permis de reconnaître l’existence et l’importance du monde rural, mais on ne peut que regretter d’y constater une pauvreté encore trop présente. « Des gains importants ont cependant été réalisés au cours des années, souligne M. Vachon. Le Québec rural a souffert, il a vécu une pénible phase de transition suite à un exode massif à partir des années ’50, vers les villes. Mais progressivement les collectivités rurales sortent de cette période sombre. Elles deviennent des milieux de plus en plus attractifs. »
Il pourrait donc y avoir un exode en sens inverse, soit celui des urbains vers les milieux ruraux ? « Oui, tout à fait, croit M. Vachon. Et c’est déjà commencé. Il y a une tendance à cet égard et cela se manifeste par des familles ou des entreprises qui quittent la ville pour s’établir en milieu rural. Mais cette arrivée d’urbains suppose, entre autre, un assouplissement de la Politique de la loi sur la protection du territoire agricole afin que de nouvelles constructions puissent être bâties sur des espaces zonés agricoles. On doit absolument établir une harmonisation entre le zonage agricole et les schémas d’aménagement. »
Conflits politiques
Ces ruraux viennent-ils à recherche d’une « terre promise », sorte de communauté rurale idyllique et sublimée comme dans les histoires de Fred Pellerin ? La campagne vécue au quotidien apporte pourtant son lot de conflits, parfois même de guerre d’égos. Lorsqu’on propose un projet de développement local à une population, il faut s’attendre à obtenir des appuis mais aussi à rencontrer des résistances. Tout processus de changement s’accompagne de réactions, d’idées divergentes, voire opposées. Impossible de vouloir rassembler tout le monde, tout de suite, sans que personne ne pose de questions.
Dans les petites localités, quand il y a des tensions, elles sont personnalisées, plus exacerbées qu’en milieu urbain, parce que tout le monde se connaît. Elles ont des implications considérables mais très peu analysées. « C’est une problématique vécue dans beaucoup de villages, constate M. Vachon. Mais c’est un sujet délicat à traiter. On l’a bien identifié et cela pourrait être un sujet très intéressant à étudier pour des sociologues. Mais il faudrait forcément identifier les personnes, les familles et les clans adverses. Et les chercheurs n’aiment pas être au milieu des chicanes et susciter encore plus de conflits. »
Opérations-dignité
La campagne n’est désormais plus l’endroit ennuyant que l’on voulait fuir à tout prix, pour rejoindre le progrès des villes, comme cela a été trop souvent le cas dans les années ’50 et ’60. À cette époque, des fonctionnaires du Bureau d’aménagement de l’Est du Québec prévoyaient même la fermeture de 85 villages du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie parce qu’ils les considéraient comme inaptes à souscrire à une société urbaine et industrielle. « Dix villages furent fermés, suscitant bien des drames humains, se souvient M. Vachon. On commençait par couper l’électricité, puis on brûlait les granges et les maisons pour empêcher les villageois de revenir. Heureusement, la mobilisation, la résistance, les Opérations-dignité et l’implication des curés des paroisses ont fait reculer le gouvernement. »
Les ruraux doivent néanmoins toujours rester vigilants autant face aux fonctionnaires que devant le géant urbain dominant le monde économique et culturel. En 1995 André Bérard, alors président de la Banque Nationale, déclarait dans un discours devant le Canadian Club à Ottawa que les régions qui n’avaient que du travail saisonnier à proposer à leur population devaient se résigner à fermer.
Le bonheur est dans le pré
M. Vachon admet toutefois que « beaucoup de petites localités ne pourront traverser la phase du renouveau du monde rural, suite à l’exode des jeunes, du vieillissement de ses habitants, d’une pénurie de main-d’œuvre spécialisée, du capital humain perdu ou incapable d’initier des projets. Pourtant, il suffit d’une idée, d’un leadership, d’un événement rassembleur pour changer le cours des choses. »
Optimiste malgré tout pour le monde rural ? « Absolument, répond-t-il. J’ai visité beaucoup de pays et particulièrement les campagnes, que ce soit en France, en Belgique, en Russie ou au Danemark. Et ce qui me frappe quand je reviens ici, c’est de voir comment la campagne est belle, les paysages magnifiques. Je reste persuadé que la beauté du milieu rural est un facteur attractif et qu’il faut se préoccuper de plus en plus de la sauvegarde des sites naturels, de la protection de l’environnement et du patrimoine paysager et architectural. D’ici un proche avenir, plusieurs citadins pourraient penser à s’établir à la campagne pour la qualité de l’air ou de l’eau mais aussi pour toute cette beauté. »