Mikaël Rioux, Biobulle, La Pocatière, décembre 2011
Il en a coulé de l'eau sous les ponts depuis l'abandon du projet de petit barrage sur la rivière Trois-Pistoles. À l'automne 2002, des centaines de citoyens mobilisés avaient réussi, avec la collaboration de l'opération «Adoptez une rivière », à bloquer le programme des petites centrales hydroélectrique sur tout le territoire québécois. Avec le changement de gouvernement en avril 2003, la victoire allait être de courte durée et dans le dossier précis de la rivière Trois-Pistoles, ce n'était que le début d'une longue saga.
Au cours des années, le groupe des Amis de la rivière Trois-Pistoles a réalisé un travail de moine afin de compiler et de recouper de l’information pour monter un dossier étoffé qui constitue aujourd'hui un véritable bouclier contre toute tentative de relance du projet de barrage sur la Trois-Pistoles. Depuis 2002, à quatre reprises, des initiatives visant à le relancer ont toutes échoué. Pendant dix ans, nous avons été les témoins privilégiés d’une culture qui, pour assouvir la cupidité de promoteurs aux détriments des citoyens québécois, se croit tout permis. Aujourd'hui, c'est l'actualité politique qui nous rattrape. La culture de corruption que nous dénoncions depuis 2002 est aujourd'hui corroborée par le rapport Duchesneau.
De fait, les 13 projets de petites centrales acceptés en juin 2010 lors du dernier appel d'offre d'Hydro-Québec Distribution sont bien mal partis. Sur la rivière Maskinongé, le projet de la chute Sainte-Ursule vient d’être abandonné à la suite de la signature d'un registre pour contrer un règlement municipal d'emprunt. Imaginez! le coût de la centrale de 1,8 mégawatt – l'équivalent d'une éolienne – s'est élevé en à peine quelques mois à dix millions de dollars alors qu'il devait au départ en coûter quatre. À ce prix-là, la rentabilité est nulle et les citoyens payeurs de taxes sont, de surcroît, responsables des pertes. Sauf que les élus municipaux, apparemment poussés par la mauvaise foi de firmes de génie-conseil, s'entêtent à garder le cap. C'est le cas près de Québec, à Shannon. Ce projet de 3,6 mégawatts devait coûter 10,2 millions de dollars. On apprend qu'il dépasse maintenant les 17 millions et pourrait atteindre les 24 millions de dollars dans le pire scénario! Dans la municipalité de Franquelin, sur la Côte-Nord, la petite centrale des chutes à Thompson est en arrêt temporaire de trois mois, moins d'un an après sa mise en service. Les fortes pluies du mois de mai dernier ont provoqué de multiples éboulements en bordure de la rivière, qui ont forcé l'arrêt de la mini-centrale hydroélectrique de 10 mégawatts.
Si on réussit à recenser autant d'irrégularités dans la réalisation de petits projets de quelques mégawatts, imaginez ce qui risque de se produire lorsqu'on en arrive au méga-chantier de La Romaine, par exemple. Pour faire court, ces grands chantiers enregistrent des dépassements de coût moyens de l'ordre de 27%. Dans le documentaire Chercher le courant on apprend que les citoyens du Québec devront un jour payer de leur poche, à même leur facture d'électricité, les erreurs commises aujourd'hui par les grands stratèges d'Hydro-Québec. En effet, le prix de production de l'électricité de ces grands barrages est de beaucoup supérieur au prix auquel nous l'exportons chez nos voisins. En sommes, nous subventionnons à nos frais l'électricité vendue sur les marchés extérieurs, en plus de contribuer à la destruction des dernières grandes rivières vierges du Québec. La force de ce documentaire, qui devrait être largement diffusé dans les écoles, réside dans la proposition de solutions. Plus écologiques, plus économiques, ces solutions de rechange feraient véritablement briller le Québec parmi les meilleurs, comme le dit si bien Jean Charest.
Comment en sommes-nous arrivés là? Difficile de comprendre tous les rouages de notre société d'État puisque cette dernière refuse d'ouvrir ses livres au Vérificateur général du Québec. D'ailleurs, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec décernait l'an dernier à Hydro-Québec son prix de la Noirceur qui « récompense » l'organisme public qui manifeste le moins de transparence et pose le plus d'obstacles à la diffusion de l'information. Il existe des allégations de collusion entre Hydro-Québec et certains entrepreneurs liés à des dossiers de financement illégal de partis politiques. Rien n'est encore prouvé, faute d’une enquête rigoureuse, mais le doute plane.
Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'aujourd'hui au Québec, nous sommes en train de détruire des rivières et des écosystèmes de grande valeur alors qu'on pourrait faire beaucoup mieux que la stratégie énergétique mise de l'avant par Hydro-Québec. Il faudra pour cela que les citoyens reprennent leur pouvoir en main et exigent le grand ménage nécessaire pour faire la lumière sur ce qui est en train de devenir un cancer généralisé. Les citoyens du Québec doivent se mobiliser et exiger une enquête publique sur l'industrie de la construction !