Occupons Québec : Cette chose qui fleurit sous la pluie

Nathalie Côté, Droit de parole, Québec, novembre 2011

L’élan venu du mouvement Occupy Wall Street s’est transporté jusqu’aux indignés de Québec. Ils se rassemblent depuis le 15 octobre et occupent le parc de l’Université-du-Québec. C’est un exercice de liberté, une occupation inédite de l’espace public, une prise de parole citoyenne.

Quelques dizaines de tentes étaient montées le 22 octobre et probablement plus maintenant. Leurs occupants prennent la parole afin de dénoncer les 1 % de riches qui asservissent les gouvernements de la planète. Ces occupants sont des écologistes, des étudiants, des guides de randonnée, des infirmières, des indignés de tous horizons qui sont fiers de nommer leur assemblée « assemblée du peuple ». Ils ont l’appui de la population qui est d’ailleurs invitée à venir camper et à les soutenir selon ses moyens. Chaque jour, une assemblée générale a lieu à 19 heures pour l’organisation du fonctionnement quotidien du campement et une grande assemblée générale se déroule chaque samedi après-midi. Toutes les décisions par sont prises en exerçant la démocratie directe et de manière inclusive. On ne sait pas combien de temps durera l’occupation, mais la participation au mouvement international donne force et confiance aux manifestants.

Ces occupations dans différentes villes ont décuplé depuis le 15 septembre, à Montréal, avec ses 200 tentes, et dans des dizaines de ville en Amérique du nord. Les indignés ont commencé à se manifester en Europe, déjà au printemps 2011, en Espagne notamment. Comme on le sait, elles furent massives et historiques, en janvier et en février, en Tunisie et en Égypte. Ce vent de révolte a commencé avec la crise financière de 2008, une crise que les riches de la planète essaient de faire payer aux pauvres. Plusieurs indignés ne sont pas sans ignorer l’existence du petit essai de Stéphane Hessel, Indignez-vous ! paru en France en 2010 et succès de librairie. L’octogénaire y réclame l’urgence de résister.

Ce mouvement porte en lui une critique anticapitaliste très semblable à celles que répètent depuis des années les groupes organisés, les groupes communautaires, les associations étudiantes, voire peut-être les syndicats. Mais ce mouvement innove dans sa forme même. Réunis par le biais des médias – par les médias sociaux notamment -, il rassemble des gens que l’on voit rarement dans les manifestations, comme se sont d’ailleurs plus à nous le répéter depuis des semaines les chaînes de télé et les journaux. Sa fraîcheur et sa spontanéité donnent à ces rassemblements un esprit révolutionnaire contagieux, qui ne ressemble en rien à ce que l’on connaît déjà.

Selon Martin Nadeau enseignant à l’UQÀM, où il donne le cours Sociologie des révolutions, « ces rassemblements populaires représentent ce qu’Hannah Arendt appelle « une natalité ». Dans son Essai sur la Révolution, la philosophe explique qu’il y a dans la révolution un caractère imprévisible et irréversible. Et parce qu’il en est ainsi, elle demande, une éducation, une pédagogie. »

C’est d’ailleurs ce qu’ont déjà commencé à faire les indignés de Québec lors de leur première assemblée générale. La petite foule a rapidement formé divers comités. En plus des comités campement et nourriture, se sont formés des comités éducation, sensibilisation ainsi qu’un comité politique pour articuler ses revendications. « Il faut trouver les mots pour exprimer ce changement », dit une participante. À Québec, à Montréal comme à New York, le mouvement se définit en prenant forme. Et le niveau d’organisation y est épatant. Les modes de fonctionnement se transmettant d’un groupe d’occupants à l’autre.

La bande d’Occupons Québec met en pratique l’idéal de société qu’elle revendique. Elle pratique l’autogestion et la démocratie directe : Elle crée avec ce campement des noyaux de résistance au coeur des villes. Comme l’explique encore Martin Nadeau, « Hannah Arendt, dans son texte Qu’est-ce que la Liberté ? envisage ainsi les capacités d’invention infinies des hommes et des femmes : « parce qu’ils (les humains) ont reçu le double don de la liberté et de l’action, ils peuvent établir une réalité bien à eux ».

La lutte sera longue cependant, comme l’affirmait Naomi Klein lors de son passage à New York, le 29 septembre : « C’est seulement en restant sur place que les racines pourront pousser, » lançait-elle à la foule, dans un discours s’adressant au mouvement qu’elle qualifiait du plus important de la planète. L’auteure de La stratégie du choc rappelait avec justesse que « s’il y a une chose que je sais, c’est que les 1 % [les plus riches] aiment les crises. Quand les gens sont paniqués et désespérés, que personne ne semble savoir ce qu’il faut faire, c’est le moment idéal pour eux pour faire passer leur liste de voeux, avec leurs politiques proentreprises : privatiser l’éducation et la sécurité sociale, mettre en pièces les services publics, se débarrasser des dernières mesures contraignantes pour les entreprises. Au coeur de la crise, c’est ce qui se passe partout dans le monde ».

Si le traitement face à la crise semble en effet le même qu’appliquent tous les gouvernements – y compris celui du Québec, avec ses derniers budgets -, il n’est pas si étonnant que la résistance soit elle aussi mondiale. Dans chaque ville, ce mouvement populaire de contestation des excès du système capitaliste exprime le désir profond d’un nouveau projet de société. Un désir de quelque chose de plus élevé que soi. Pour en finir avec le vide individualiste où nous a conduit la société de consommation.

 

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