Renaud Pilote, Droit de parole, Québec, octobre 2011
Chère boîte aux lettres,
Si je t’écris c’est que je m’en fais pour toi. On ne se cachera pas que depuis l’avènement du courriel, sur le plan de l’efficacité, tu ne surpasses plus que les pigeons voyageurs et les signaux de boucane. Aussi, ton réseau social ne m’apparaît plus ce qu’il était et ce n’est pas sans un pincement au coeur que j’ai vu qu’il n’y avait que 25 personnes (des facteurs ?) qui t’appréciaient sur facebook : c’est dire la désuétude de ta personnalité publique. Bien sûr, tu reçois quelques visites de courtoisie pendant le temps des fêtes, mais en général, je t’aperçois seule au coin de la rue, lasse et comme en proie au vide intérieur. Je veux juste m’assurer que tout va bien et te dire que je ne t’ai pas oubliée.
J’ai conscience de ta force de caractère : toutes ces lettres que tu vois passer sans (presque) jamais une seule qui ne te soit adressée, ça prend un cœur solide. Mais là, je dois constater que la grisaille de notre époque timbrée d’électronique t’a fait perdre ta rougeur légendaire. Tatouée de graffitis, tu deviens grincheuse, l’autre fois même, ma main s’était attardée et tu m’as mordu. Fais attention. J’espère seulement que tu n’as pas perdu l’appétit, car il y a encore chez moi un tas de lettres non-écrites que j’aimerais te faire ingérer un de ces quatre. Des lettres d’amour et des lettres de bêtises, surtout, mais aussi des lettres de condoléances, de créances, des lettres de motivation, de recommandation et des lettres de noblesse.
Voilà des lettres que tu n’as jamais perdues. En fait, avec ta carrure trapue et ton crâne anguleux, tu me fais penser à un vieux sénateur romain. Fidèle à ta poste et au tien, tu braves l’humidité pour préserver l’intégralité du papier, jadis la fierté des empires. Parfois, quand je pense à cette persévérance que tu as à croire encore en la beauté d’une correspondance, à ton indéfectible patience en temps de guerre, somme toute, à ton éternelle quête de délivrance, j’ai de plus en plus la malle au coeur. Je t’écris pour te dire que j’admire ton dévouement dans cette crise des missives écrites et pour te dire que j’ai besoin de toi, boîte à lettres, j’ai besoin de ta sagesse matérialiste pour m’arracher de mes torpeurs virtuelles. Tu me fais du bien par ta seule présence, tu n’as même pas besoin de rien faire ; mais si, par bonheur, tu t’aventurais à me répondre, je sens qu’il y aurait bientôt là matière à roman épistolaire. Libre à toi.
Allez, salut et huile-toi bien !