Le Village gai, aux couleurs de la misère… et de l’incompréhension

Catherine Girouard et Serge Lareault, L’Itinéraire, Montréal, le 15 octobre 2011

Les signes de la pauvreté sont visibles et criants dans les rues de Montréal, dont dans le quartier Centre-Sud où sont situés les locaux de L'Itinéraire. Plusieurs observateurs ont affirmé avoir vu plus de personnes en situation d'itinérance cet été, notamment dans le Village gai. Cette impression, bien qu'il n'y ait pas de recensement en la matière, semble fondée. La misère et l'isolement sautent aux yeux et cela crée un malaise pour plusieurs citoyens, voir de la peur pour certains. Un préjugé tenace fait alors surface : l'itinérance amène la criminalité.

Face à l'augmentation du nombre de sans-abri, de toxicomanes et de malades mentaux dans leur quartier, quelque 2 000 résidants et commerçants du Village ont signé une pétition, déposée au conseil municipal. Sans preuve ni statistiques, ils affirment qu'il y a plus de criminalité dans le Village, et que ce phénomène est lié à l'augmentation de sans-abri.

Le texte de la pétition débute en demandant « un accroissement de la présence policière dans le secteur du Village Gai ». L'initiateur du mouvement, copropriétaire d'une boutique dans le Village, a précisé que leur demande vise à renforcer la sécurité dans le secteur, à éviter la violence, les vols et les deals de drogues, et non pas à accroître la répression policière ou à « tasser » les itinérants.

Il est bien connu que le Village, avec ses nombreux bars, est le buffet à ciel ouvert du crime organisé et des vendeurs de drogues. La criminalité est présente, sous diverses formes, à l'intérieur comme à l'extérieur des établissements. Mais les signataires de la pétition du Village associent directement le problème aux pauvres exclus, en extrême situation d'urgence, souvent malades, voir désorientés. Les criminels, ce sont eux, d'abord et avant tout.

Même si une augmentation du nombre de sans-abri a été remarquée par les organismes et les résidants du quartier, le nombre d'infractions liées à l'itinérance est quant à lui resté stable, a affirmé à L'Itinéraire Marc Riopel, inspecteur au Service à la communauté du SPVM et responsable des dossiers liés à l'itinérance. Sans-abri n'est pas synonyme de criminel ! Et selon M. Riopel, les 71 policiers patrouillant actuellement le secteur répondent à la demande.

Des études basées sur les rapports de la police (à Montréal et à Ottawa notamment), ont démontré que les itinérants ont une responsabilité limitée dans la criminalité de rue et dans les agressions personnelles. Les méfaits viennent beaucoup plus du côté du crime organisé.

Mais des gens persistent à mettre la faute sur le dos des itinérants et de les voir comme des individus dangereux. Et dans leur désir d'augmenter leur sentiment de sécurité, ils s'attaquent à la mauvaise cible. Dans cette confusion, il n'est pas clair si les signataires de la pétition veulent moins de criminalité ou moins d'itinérants.

Si les signataires de la pétition veulent moins de gens isolés dans la rue, la solution ne réside pas dans la demande de plus de policiers. Il faut se plaindre au gouvernement pour son total désintérêt de la situation, laissant empirer les choses d'années en années. L'initiateur de la pétition semble être conscient de cela – tant mieux -, ayant parlé devant les médias du manque de ressources d'aide pour les sans-abri.

Comme l'exige depuis des années le RAPSIM (Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal) qui réitère d'ailleurs ses demandes dans son infolettre, en page 29, le Québec a cruellement besoin d'une « Politique globale en itinérance qui permettra d'intervenir autant en aval qu'en amont auprès des personnes en situation d'itinérance ». Concrètement, cela veut dire plus de logements sociaux, un meilleur accès aux services de santé et aux services sociaux, des services en santé mentale adéquats et la mise en place d'un revenu décent pour tous.

Il faut cesser de demander de l'argent dans des actions orientées vers la répression mais plutôt vers le curatif. Si les citoyens se mobilisaient pour demander aux gouvernements de bien financer et d'aider les organismes communautaires qui sont les seuls à réellement apporter des solutions (mais qui sont maintenus dans un état de survie désespérant), nous pourrions alors espérer une amélioration des choses.

La pétition de résidants et commerçants du Village démontre que la population veut du changement, mais que certains préjugés tenaces font en sorte que les demandes ne se font pas dans le sens approprié. Tant que les gouvernements vont se foutre de la pauvreté et qu'une politique en itinérance ne sera pas mise en place, on ne pourra que constater une croissance du nombre de personnes en détresse… et de citoyens désespérés !

 

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