Marie-Lise Rousseau, L’itinéraire, Montréal, le 1er octobre 2011
Avez-vous déjà vu une femme dormir dans la rue ? L’itinérance féminine est très peu visible et moins documentée que celle des hommes, mais elle reste la réalité du tiers des personnes itinérantes à Montréal. Douze femmes racontent leur histoire de rue en textes et en photographie dans l’installation Rue-ELLES, présentée par Y des femmes jusqu’au 14 octobre à Montréal.
Vera vient d'avoir 25 ans. Elle est une des participantes du projet Rue-ELLES. Pendant quatre jours complets, elle a reçu une formation du Y des femmes et de l'Université Concordia en photographie et en écriture pour accoucher de son panneau Rue-ELLES, qui comprend quatre photographies qu'elle a prises, un autoportrait et son récit personnel.
Comme chaque histoire d'itinérance, le parcours de Vera est unique. Alors que la majorité des femmes ne choisissent pas de se retrouver dans la rue, la jeune diplômée de l'Université McGilll a fait volontairement. Vera a plongé de plein gré dans l'univers de la rue, qui l'attirait, tout simplement. «Je n'ai pas de domicile fixe depuis 2008», raconte-t-elle de son téléphone cellulaire dans un restaurant McDonald. Se sentant chez elle nulle part, elle se contentait des divans d'amis, des refuges pour femmes, parfois des hôtels, lorsqu'elle en avait les moyens, et de la maison de ses parents au besoin.
Pendant la durée de l'atelier, Vera a passé deux nuits à dormir dehors, une expérience qu'elle a désiré exprimer de façon positive dans sa création pour Rue-ELLES. «C'était très beau! J'étais avec mon chien (dont la présence est interdite dans plusieurs refuges) et on avait trouvé un matelas près d'un chemin de fer où on a dormi. J'ai vu un des plus beaux couchers de soleil de ma vie! Je me sentais à l'aise … » Jusqu'à ce que Vera se rende compte que le matelas était infesté de produits chimiques, qui lui ont causé des problèmes de peau. Ainsi va la vie de la rue: comportant toujours son lot d'imprévus!
Vera a donc relaté cette aventure par écrit. «Pour le visuel, j'ai voulu expérimenter la photo sous une forme subliminale avec des clichés qui racontaient ma vision de la rue», explique l'artiste qui adore peindre des portraits de personnages féminins «pour montrer leurs forces et leurs faiblesses».
Depuis sa participation à ce projet, Vera a pris conscience de la dureté de la rue. «Comme femme, particulièrement comme jeune femme, je suis bien placée pour dire qu'il est mieux de ne pas rester dans la rue! Je me suis souvent fait offrir de l'argent pour des services sexuels, que j'ai refusé! C'est une lutte constante», dit-elle, sur un ton toujours enthousiaste malgré ses propos sombres.
Pour les 12 participantes de l'exposition Rue-ELLES, ce fut un défi émotionnel de raconter leurs expériences difficiles sur leur panneau. «Chaque histoire est unique, mais un atelier comme on a fait permet aux femmes de réaliser qu'elles ne sont pas seules dans leur situation», explique Carlye Watson, agente de projet et animatrice au Y des femmes.
Sans être un atelier d'art-thérapie, cette formation fut pour les participantes l'occasion de se découvrir de nouveaux talents artistiques. Pour sa part, Vera avait toujours été intéressée par la photographie, mais par manque d'argent, n'avait jamais pu se procurer d'appareil.
Qu'est-ce que la jeune femme tire de cette expérience? «Après deux nuits à dormir dehors, j'étais physiquement épuisée, je manquais de sommeil, j'avais les yeux rouges, j'étais beaucoup plus sensible et fatiguée, je pleurais …, se souvient-elle. Alors j'ai donné mon chien et j'ai décidé que j'allais reprendre ma vie en main.» Présentement participante à un programme de réinsertion sociale en art, la jeune femme désire développer au maximum son talent artistique pour pouvoir en vivre un jour.