Sherbrooke prend des couleurs

Romy Schlegel, Entrée libre, Sherbrooke, septembre 2011

– Ouain… Il y en a donc bien…

– … ?

– Hé bien, tu ne vois pas ?

Distraite, je valide rapidement qu’il n’y a rien à voir en ce pénard après-midi estival à Sherbrooke.  Beaucoup de quoi ?  D’autos,  de vieillards, de nids de poules, de feux rouges? « Mais voyons… des immigrants Romy ! Il y en a beaucoup,  tout à coup », dixit ma mère.

Je ne saurais dire si le ton était candide, réprobateur, contemplatif, interrogatif, mais demeure qu’il faut se méfier : l’immigration est devenue un sujet aussi sensible que l’argent, la souveraineté et la sexualité divergente !

Mais… je ne peux pas faire fi de ce commentaire, parce que comme tu le sais, toi, lecteur averti, avec un patronyme comme le mien,  je ne suis pas née au Saguenay. Tu soupçonnes aussi que ma mère, initiatrice de cette conversation, ne m’a pas dit « Ouain, il y en a donc bin » avec un accent québécois bien senti, mais plutôt « Ja hä, es het efängs choge viel » dans un suisse-allemand impeccable.

Je suis troublée. D’autant plus que ces gens « visibles » maîtrisent souvent bien le français, contrairement à ma mère qui, après 18 ans en sol québécois, a un niveau assez douteux. Qui est l’immigrant alors ?

Il reste qu’effectivement, Sherbrooke se métamorphose, se diversifie. Plus multiculturelle donc, et c’est tout à son honneur, parce qu’il faut préciser qu’elle y a quand même mis de grands efforts : une politique d’accueil officielle à la Ville, des organismes bien établis, des universités attirantes, diverses activités et festivals à teneur interculturelle, etc. Sherbrooke est ainsi devenue une ville attractive, par choix.

 

Vers les régions

 

85% des quelques 45 000 nouveaux arrivants s’installent dans la grande région de Montréal. Une île de plus en plus saturée avec un  taux de chômage significativement plus élevé chez les nouveaux arrivants. Le pari est donc de les régionaliser, de les attirer dans d’autres coins de la province. Si toutes les régions veulent leur part du lot pour contrer l’exode rural, la pénurie de la main-d’œuvre et le vieillissement de la population, très peu réussissent réellement à attirer  un nombre significatif d’immigrants sur leur territoire. Très peu, mais Sherbrooke si.

Et pourquoi, et qui sont-ils, d’où arrivent-ils et que font-ils ? Dans un langage légal, on retrouve trois grandes catégories d’immigrations au Canada : les réfugiés, les regroupements familiaux  et les indépendants. Dès le début, Sherbrooke s’est distinguée comme une ville de prédilection pour l’accueil des personnes réfugiées. Le gouvernement y envoie – je dis bien envoyer, car la destination est imposée pour ces gens-  plus de 300 réfugiés par année, soit plus qu’à Montréal ou Gatineau.  La qualité des logements, les services offerts et les caractéristiques économiques lui ont permis de se tailler une solide réputation quant à sa capacité d’accueil. Ces personnes proviennent principalement de pays comme la Colombie, l’Irak, l’Afrique de l’Est ou le Bhoutan.

Si l’on parle des immigrants indépendants, leur parcours migratoire et le processus d’adaptation sont différents. Ils sont des travailleurs qualifiés ou autonomes, entrepreneurs ou investisseurs et arrivent des quatre coins du monde. Directement sélectionnés à l’étranger par nos gouvernements par une grille à système de points basée sur des critères tels  l’âge, la langue, le niveau d’éducation, les expériences de travail, etc.

Simple, mais pourtant… Le rêve Canadien implique quand même son lot de sacrifices et des ressources financières qui ne sont pas à négliger. Il y a un prix pour vivre dans le plus meilleur pays du monde, et plusieurs sont prêts à le payer, même s’ils avaient pourtant des conditions enviables dans leur pays d’origine. Ainsi, on sélectionne une élite qui, une fois ici, aura à gérer son lot de déceptions et de concessions qui sont, trop souvent, plus grandes qu’escomptées.

Alors oui Maman,  des immigrants il y en a, et il y en aura de plus en plus. Heureusement, la seule chose à faire est aussi la plus simple, soit de vivre ensemble! Mais pour ce faire, il faut minimalement savoir qui ils sont et leur montrer qui nous sommes. Pour cela, nul besoin de journaux, de statistiques, de commissions Bouchard-Taylor, de projets de lois. Il suffit simplement de leur demander. Et si nous faisions comme en Afrique, au Moyen-Orient et probablement comme dans bien d’autres parties du monde,  où l’on nous souhaite la bienvenue à tous les jours et ce au premier jour, au 100e jour, au 1000e jour.

– Bienvenue !

– Merci mais ça fait 3 ans que j’habite ici.

– Et puis, vous êtes la bienvenue quand même.

Si simple. Et la simplicité nous réconcilie avec l’humanité, avec l’Autre, et avec  nous-mêmes !

 

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