Rencontre avec Sébastien Pilote, réalisateur

Yves Waddell, Ski-se-Dit, Val-David, septembre 2011

Regardez bien le boîtier du DVD que vous venez de louer ou d’acheter et cherchez-y le nom du réalisateur… écrit en tout petit !  Et pourtant, un film, c’est d’abord et avant tout l’œuvre du réalisateur. Le film, c’est lui ! Celui qui a le premier une vision du film, celui qui le voit et l’imagine dans sa tête, image par image, scène par scène, mot par mot, celui qui le dirige, qui raconte l’histoire, qui choisit les interprètes, les scènes, les plans de vue, les musiques, les sons, les couleurs, c’est le réalisateur. Or, à la sortie d’un cinéma, combien de spectateurs seraient seulement capables de nommer le nom du réalisateur du film qu’ils viennent de voir ? Seriez-vous en mesure de nommer celui qui a réalisé Starbuck ou le dernier Harry Potter, deux grands succès de l’été 2011 ?

Avant de pouvoir réaliser son premier film de fiction, un cinéaste doit parcourir un long, un très long chemin. Première condition : il doit aimer le cinéma. Passionnément ! Puis, avec le temps, il doit tout savoir du cinéma, le décortiquer dans ses moindres détails, puis il lui faut apprendre et expérimenter toutes les étapes de la fabrication d’un film.

 

Avoir la passion du cinéma

 

En ce qui concerne le réalisateur Sébastien Pilote, dans le petit village de Saint-Ambroise, au Saguenay, où il a passé son enfance, il n’y avait évidemment pas de cinéma. Les seuls films qu’il pouvait voir passaient à la télé. « Je pense que le premier film que j’ai vu au cinéma, c’est E.T, l’extraterrestre. Je devais avoir huit ans. Puis, à l’adolescence, j’ai commencé à y aller un peu, surtout pour voir les blockbusters dont tout le monde parlait. Mais c’est au CEGEP que j’ai été frappé de plein fouet par le cinéma ». Le premier film qui a allumé la bougie d’allumage, c’est L’heure du loup (1968) d’Ingmar Bergman… un réalisateur suédois reconnu pour ses films tarabiscotés. « Mon prof m’avait prêté la cassette et je l’ai gardée pendant plusieurs semaines afin de le visionner et le revisionner sans cesse, jusqu’à ce que j’en connaisse les moindres détails. »

Déjà à cette époque, ce n’est pas tant l’histoire qui le fascine, mais la manière de raconter. Les mouvements de la caméra ou le découpage, plus que le récit lui-même. L’intérêt pour ces vieux films, devenus des références cinématographiques, ne se démentira pas : « Ensuite je me suis intéressé aux classiques, par exemple le cinéma soviétique… Citizen Kane, Truffaut… ». Pourtant, au Cegep, il s’inscrit d’abord en Lettres. « J’ai rapidement découvert que ce que j’aimais dans la littérature, c’était les belles phrases. La forme et la structure, avant le récit. Et puis un jour, j’ai acheté un dictionnaire du cinéma : tous les films qui s’y trouvaient, les grands classiques, je voulais absolument les voir. J’étais devenu boulimique. Je ne me sentais pas bien si je n’avais pas vu tel ou tel classique. J’allais aux ciné-clubs de Jonquière et de Chicoutimi. Je me suis mis à acheter des cassettes ou enregistrer plein de films à la télé. Je lisais beaucoup sur le cinéma. J’étais chronométreur à l’aréna, pour les parties d’hockey, et pendant les temps morts je lisais sur le cinéma. J’étais une bibitte… »

Étrangement, malgré son jeune âge, Sébastien Pilote s’intéresse à une cinématographie qui a marqué la génération des cinéastes qui l’ont précédé ; des films qui ont été réalisés et projetés bien avant sa naissance. « Il y a plein de films de mes contemporains qui sortent et que je ne vois pas, alors que je n’arrête jamais de regarder et de revoir des « vieux » films. J’ai une bonne cinémathèque à la maison. C’est certain qu’une de mes influences est le cinéma direct québécois, celui des Pierre Perrault, Michel Brault ; ou de fiction, comme Francis Mankiewicz et Claude Jutra ». Il se reconnaît aussi dans les films de Denys Arcand, en qui il devine quelqu’un de plutôt pessimiste… comme lui-même : « Je suis un pessimiste. J’ai parfois de la misère avec l’être humain. Avec la société d’aujourd’hui. Il y a des choses qui me découragent chez mes contemporains… mais j’essaie de me contrôler ! En même temps, je trouve qu’il y a des choses tellement belles » Vers l’âge de 20 ans, à son arrivée en cinéma à l’université du Québec à Chicoutimi, ses professeurs le considèrent déjà comme le « cinéphile » de la classe : celui qui a vu et connaît tous les films. « Je voyais 30 secondes d’un film et je savais déjà de quel réalisateur il s’agissait. J’étais probablement plus cinéphile que la moyenne… ». En sortant de l’université, il créé un festival du court-métrage avec un ami, au Saguenay ; il sera entre autres responsable de la programmation. Encore aujourd’hui, il est toujours sur le conseil d’administration de cet événement majeur, considéré comme un des plus importants festivals du court-métrage en Amérique du Nord.

 

Faire du cinéma d’auteur

 

Aux yeux de ce jeune réalisateur, Hollywood est en train de s’autodétruire en ne proposant plus rien que de la redite au cinéma. Ou du cinéma pour adolescent. Malheureusement, pour lui, les exceptions sont trop rares : « J’aime tellement le cinéma, que je ne veux pas faire n’importe quoi. Aujourd’hui, la complexité est d’abord technique, sans le savoir-faire tout simple d’une bonne mise en scène ». Encore et toujours, c’est la manière de raconter qui importe pour lui : « Les mouvements de caméra, c’est important. Je pense par exemple aux premiers films de Spielberg, au premier Indiana Jones, par exemple, où tous les mouvements de caméra sont sublimes. Faire un film, c’est quasiment de l’architecture. Tu prends des notes, tu fais des plans, tu fais des modèles, des dessins, tu visualises toutes les scènes. Chaque plan ! Aujourd’hui, on fait des films faciles, pour plaire au spectateur. On lui redonne toujours la même histoire, servie de la même manière ».

Dans le cinéma d’auteur, tel qu’il le conçoit, le film doit laisser place à l’imaginaire du spectateur. Le film doit prendre le temps d’observer les personnages qu’il fait vivre à l’écran afin, en bout de ligne, de mieux les comprendre : « Je laisse du temps et de la place aux images. Les gens doivent se laisser porter. Je veux faire un cinéma qui permette au spectateur de s’arrêter, de faire du sens, de se connecter… Mon travail de cinéaste, c’est de montrer la vie ».

Sébastien Pilote a une vision très claire du cinéma qu’il veut faire. Et il veut y rester fidèle. De film en film, on pourra reconnaître sa marque, sa manière de voir et de faire : du vrai cinéma d’auteur ! La principale comédienne de son film, Nathalie Cavezzali, dira de lui : « Il a eu plein d’offres suite au succès de son film au festival de Sundance. Mais il ne s’est pas empressé d’y donner suite. Filmer pour filmer n’importe quoi, cela ne l’intéresse pas. Il veut du contenu. Il est déjà en train d’écrire son prochain scénario, parce que c’est un artiste, c’est un auteur qui a quelque chose à dire ».

Originaire du Saguenay, Sébastien Pilote a toujours voulu rester proche de son milieu de vie et traite volontiers de sujets reliés à la vie quotidienne dans sa région : « Je me considère comme un cinéaste de région éloignée. Un artiste avec son imaginaire propre, lié à son lieu d’appartenance. Mon cinéma montre aux autres le coin de pays que j’habite. C’est important, en tant qu’artiste, de cinéaste ou d’écrivain, d’occuper le territoire et de s’en réclamer. C’est pour ça que j’y ai créé un festival de films. Il faut y vivre. Je viens de Saint-Ambroise, un petit village entre le Saguenay et le Lac, entre Jonquière et Alma : une route avec des maisons sur le bord du chemin, où les camions passent, avec son église au centre. »

Le 29 janvier 2010, Sébastien Pilote installait ses caméras près du garage La Maison de l’auto, à Dolbeau-Mistassini, avec toute son équipe de tournage, composée d’une quarantaine de techni-ciens et d’artisans et d’une douzaine de comédiens. Le 3 février, le tournage du film Le vendeur débutait. « Tout le monde en place ! Action ! »

classé sous : Non classé