L’université comme moyen de réinsertion sociale

Louis-Samuel Perron, L’Itinéraire, Montréal, le 1er septembre 2011

Des milliers de québécois purgent leur peine dans les prisons de la Belle Province et certains détenus profitent de cet isolement pour suivre des cours universitaires. Malgré le maigre soutien et les nombreux défis, ces étudiants font le pari que ce diplôme leur permettra de regagner leur place dans la société.

« À ! s'exclame Christian. J'ai eu un A en prison, je n’en reviens pas ! » Stupéfait d'avoir réussi avec brio son cours de biologie humaine, Christian voit enfin l'avenir en rose. Le quadragénaire érudit vient de finir son baccalauréat, contre vents et marées, après 20 ans. Il n'arrivait jamais à le terminer, même s'il ne lui manquait que trois cours. C'est en prison qu'il l'a terminé. « Peut-être que j'étais plus en prison à l'extérieur qu'ici », lance-t-il au téléphone, fier de sa réussite. Bon an mal an, une dizaine de détenus québécois caressent l'espoir que leur réinsertion dans la société se fera plus facilement avec un diplôme d'études supérieures en poche.

Christian a pu étudier grâce à la Téluq (Télé-Université), qui offre une panoplie de cours universitaires. « La demande est venue du milieu carcéral, souligne Luc Bouchard, directeur de la diffusion des enseignements à la Téluq. C'est un service qu'on a mis en place pour faire de la réinsertion sociale. » Or, il a fallu que Luc Bouchard vienne à bout des réticences à l'interne pour que les détenus aient accès à l'université. « Je pense que c'est un service essentiel. Nous avons une mission dans le milieu de l'éducation. »

Les détenus québécois ont accès à une multitude de ressources pour les aider à terminer leurs études secondaires. À la prison de Bordeaux, par exemple, des enseignants de la Commission scolaire de Montréal se déplacent dans l'établissement pour donner des cours. Les besoins sont énormes puisque quatre détenus sur cinq n'ont pas de diplôme d'études secondaires. Mais pour les étudiants universitaires, ces oiseaux rares, les ressources sont maigres. « Le système carcéral ne fait absolument rien pour nous accommoder, lance Pierre, rencontré au Centre fédéral de formation de Laval, un pénitencier à sécurité minimale. Les études universitaires, c'est superflu pour eux. » À 46 ans, il purge sa peine depuis dix ans dans différents établissements québécois. Depuis qu'il est incarcéré, Pierre n'a pas chômé. Il a terminé ses troisième, quatrième et cinquième années du secondaire en huit mois, tout en obtenant un baccalauréat en administration en cinq ans et demi. Il a de plus terminé un AEC en informatique. « Avec une sentence à vie, je savais que je ne pouvais plus vivre du crime, soutient-il. Je veux prendre ma vie en mains quand je serai dehors et me donner une qualité de vie raisonnable. »

Pierre, qui pourra se prévaloir de la libération conditionnelle dans deux ans, prépare sa sortie depuis plusieurs années. Il est conscient qu'il devra faire face à de nombreux préjugés. « Avec un dossier criminel, je sais que ça va être difficile d'avoir un emploi. Je n'ai jamais été sur le marché du travail ! Je me disais : « Si je sors de prison sans études, je vais faire quoi ? » Travailler au salaire minimum ? Avec un BAC en administration, je veux partir à mon compte quand je sortirai. » Christian, nouvellement bachelier, compte suivre la même voie et devenir travailleur autonome à sa sortie de prison. Malgré les embûches et les préjugés, il demeure persuadé que les études constituent une bonne voie pour réintégrer la société. « Plus tu as de connaissances, plus tu es récupérable », maintient-il.

Affable et sympathique en entrevue, Pierre estime qu'il aurait pu terminer son baccalauréat plus rapidement, en trois ans même. Car contrairement aux détenus qui étudient au secondaire, il était obligé d'avoir une tâche journalière afin d'obtenir le salaire qu'obtiennent les prisonniers travailleurs, soit un maigre cinq dollars par jour. « J'ai demandé à la direction de toutes les prisons où je suis passé si je pouvais étudier à plein-temps et obtenir quand même le montant. Ils n'ont jamais voulu ! » Cette somme peut sembler dérisoire, mais pour Pierre, ce revenu permet d'éviter la morne nourriture de la cantine et de s'acheter de la viande et des fruits qu'il cuisine lui-même. Pierre salue néanmoins le dévouement des intervenants de l'organisme d'aide à l'emploi OPEX qui servait d'intermédiaire entre la Téluq et lui. Il est toutefois cinglant par rapport au système carcéral. « Le système se dit axé sur la réinsertion sociale. Qu'est-ce que tu veux de plus pour la réinsertion que d'aller à l'université ? Pourquoi veulent-ils absolument que je passe la moppe ? »

Les défis auxquels font face les détenus universitaires sont immenses : climat difficile, ressources déficientes et manque de soutien sont au menu. « Quand je suis arrivé, la première chose que j'ai vue, c'est quelqu'un qui s'est fait couper les deux oreilles, lance Christian, abasourdi. En prison, tu essaies de survivre. Le contexte dans lequel j'étudie, c'est terrible ! Les agents me disent : « Je ne sais pas comment tu fais. » De plus, les détenus sont privés de nombreux cours puisqu'ils n'ont pas accès à Internet pour des raisons de sécurité. « Les étudiants en milieu carcéral ont accès à moins de services qu'un étudiant régulier, explique Luc Bouchard, directeur de la diffusion des enseignements à la Téluq. Il y a beaucoup de contraintes par rapport à l'utilisation des technologies. Ça limite l'étudiant par rapport aux services qu'on peut offrir. » Même s'il n'avait pas accès à un ordinateur au départ, Christian a persévéré et a gagné la confiance des gardes qui lui ont permis de l'utiliser sporadiquement. « J'ai fait mes cours avec seulement un crayon, une règle et un dictionnaire. J'ai écrit au moins 400 pages à la main et j'ai eu 92 % ! ».

Difficile aussi d'entrer en contact avec les tuteurs de la Téluq. Pour Pierre, le processus pouvait prendre jusqu'à deux semaines, simplement pour discuter les prisonniers, se désole Luc Bouchard. « Il y a beaucoup de préjugés. Les gens ont peur, par exemple, qu'un prisonnier soit violent s'il n'est pas content de sa note. »

Aux dires de Pierre, il ne serait jamais allé plus loin que la deuxième année du secondaire s'il était resté « en dehors ». Selon lui, une chose est claire : la réinsertion sociale passe par les études. Et l'État doit passer de la parole aux actes afin d'aider davantage les détenus dans cette voie. « S'ils disent vraiment que le système est axé sur la réinsertion sociale, qu'ils fassent des gestes pour ça ! soutient-il. Qu'ils laissent la chance aux gens de s'éduquer en prison pour qu'ils puissent faire quelque chose dehors. Après, c'est sûr que tu ne les reverras pas ! »
 

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