Des baies pour l’économie

Déborah Graseum, Vague locale, Blanc-Sablon, août 2011

Chicouté, camarine, airelle, canneberge : ces petites merveilleuses juteuses, si populaires en Basse-Côte-Nord, seront disponibles dans le reste du Québec à partir de Noël. L’Association des Coasters a acheté quatre tonnes de ces délicieuses baies de la population de la région et a préparé des gelées pour les consommateurs et des purées pour hôtels et restaurants. Ce projet, l’un des plus récents de l’Association des Coasters, commence à porter ses fruits, même s’il leur faudra beaucoup de patience et de chance pour pouvoir en savourer les recettes.

 

Chicouté d’arrache-pied

 

Le gros défi de l’Association des Coasters sera peut-être les baies elles-mêmes ; en effet, un plant de chicouté peut prendre de 5 à 10 ans pour donner des fruits, selon Kristine Naess… chercheuse au Centre de recherche les Buissons. « Ces plantes ne poussent pas vite », indique-t-elle. Serait-il donc impensable de cultiver de chicoutés, camarines et autres merveilles de la région ? « Bien sûr que non, dit-elle. Des plantes cultivées prennent peut-être plus de temps que leurs homologues sauvages à pousser, mais elles donnent plus de fruits. C'est un avantage à long terme. »

La chicouté, physiquement semblable à une framboise orangée, est un fruit antioxydant et excellent pour la santé. L'Europe du Nord en raffole et en cultive déjà depuis longtemps, selon Réjean Dumas, ancien coordinateur de l'Office des Baies Sauvages, qui a beaucoup travaillé avec les fruits n’a d'ailleurs été impressionné par le l'rendement de la chicouté d'Europe du Nord. « En Norvège et en Finlande, ce sont comme des carottes, cela ne leur prend que deux ans pour avoir leurs premiers fruits ! » dit-il avec enthousiasme. Selon lui, l’Europe serait plus en avance en matière de protection de ses terres. Mais les baies sauvages de la Basse-Côte-Nord engagent à beaucoup plus d'obstacles que ses cousines européennes.

Tout d'abord, le climat québécois est très difficile à prévoir et à contrôler. L'été dernier par exemple, peu de baies attendaient les cueilleurs. L'hiver a été très doux, « il, n’a pratiquement pas neigé ! Quand la neige ne peut ouvrir les plants, ils gèlent et meurent » explique M. Dumas. Heureusement, cette année sera une bonne année, grâce à la température clémente (à la neige). Le rendement des baies sauvages reste toutefois aussi imprévisible que la météo. « Je pense qu'ils (la coopérative de l'Association des Coasters) auront de la chance cette année, mais plus tard, ils devront se débrouiller avec d'autres quantités », soupire Kristine Naess.

Les rendements moyens de la chicouté sont faibles, tout comme ceux des autres baies sauvages : environ 10 kilogrammes par hectares. Le Centre de recherche des Buissons a dirigé plusieurs expériences afin d'en savoir plus sur la chicouté et de connaître des moyens d'augmenter ses rendements. La pollinisation par des abeilles domestiques ainsi que des clôtures à neige permettent d'augmenter favorablement les rendements des plantes. « La chicouté est capable, sous des conditions idéales, de produire au moins 600 kilogrammes par hectare » explique Karine Naess. Les facteurs reliés à cette production optimale sont encore très complexes, selon la phytogénéticienne, et pourrait inclure la génétique, la fertilité du sol, l'hydrologie du sol, etc. De plus, les baies sauvages naturelles, qui poussent dans des tourbières, doivent parfois cohabiter avec les amateurs de véhicules tout-terrain.

 

Bien que la culture des baies ne soit pas encore dans les plans de l'Association des Coasters, Priscilla Griffin assure connaître les nombreux l'revers des fruits. « Nous avons effectivement beaucoup de fruits cette année, mais si une année nous manquons de camarine ou d'airelle, nous devrons compenser avec les autres baies. Nous pensons aussi les congeler afin de les conserver quelques années. C'est une des raisons pour laquelle nous voulons y aller lentement. »

Réjean Dumas, ancien coordinateur de l'Office des Baies Sauvages, qui a longtemps expérimenté avec les baies, opine dans le même sens. L'Office des Baies Sauvages a également essayé plusieurs fois de commercialiser les fruits du terroir, sans succès. « On a investi beaucoup d'argent on visait haut de gamme. Mais même si dans les salons et les foires alimentaires nos baies connaissait un bon succès, ce n'était pas le cas avec les hôtels, » explique-t-il en faisant référence aux hôtels Fairmount. « Nous étions prêts, mais eux ne l'étaient pas. »

 

Un projet communautaire avant tout

 

« Je suis un peu trop optimiste de nature, même si je sais que cette année ne sera probablement pas synonyme de fol achalandage pour les produits, » souligne Mme Griffin. « C'est tout de même très excitant. » Elle espère que les produits soient non seulement assez populaires chez les consommateurs, mai, aussi dans les restaurants et les hôtels, de façon à rentabiliser leur production jusqu'à l’année prochaine.

 

Kristine Naess souhaite également un avenir radieux au projet Baies sauvages. Elle pense qu'une coopérative permettra d'apporter des valeurs, des buts au projet. La meilleure chose qu'il puisse arriver serait que les gens se joignent massivement au projet. Ce n'est pas toujours facile de faire travailler les gens ensemble au début, mais une fois qu'ils sont engagés, c'est fantastique.»

La future coopérative de l'Association des Coasters installera ses bases dans le village de St-Augutin vers la fin août ou en septembre. Les produits sont fabriqués à La Pocatière cette année, mais Mme Griffin entrevoit l'installation d'infrastructure dans la région dès 2012. L'Association des Coasters prévoit également continuer d'établir des consultations publiques avec les municipalités et leurs populations. « Une coopérative est soutenue par la population, et il est essentiel de la maintenir informée du projet », insiste Mme Griffin.

La région a été durement touchée par la crise de la pêche au début des années 2000, et l'Association les Coasters espère pouvoir diversifier l'économie en travaillant non seulement avec les baies sauvages, mais aussi avec des produits à base d'algues et de chamignons locaux. Il faudra déjà attendre les résultats du projet Baies sauvages.

« C'est un travail qui demande de l'affection. » s’exclame Priscilla Griffin. « Les tourbières où les baies poussent sont très étendues, boueuse et pleine d'insectes. C'est pourtant un sentiment euphorique que de construire quelque chose à partir de ce que l'on a, pour pouvoir rester en Basse-Côte-Nord. »

 

classé sous : Non classé