Sur le haut de la vague

Maïté Samuel-Leduc, Graffici, Gaspésie, été 2011

Une idée répandue veut que la pêche soit en perte de vitesse en Gaspésie. Au contraire, les usines de transformation de produits marins se diversifient et se modernisent en investissant des dizaines de milliers de dollars en machinerie afin de répondre aux exigences des acheteurs. Elles pensent même manquer de main-d’œuvre dans les prochaines années.

Dans son bureau derrière la poissonnerie de l'usine Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan à Sainte-Thérèse-de-Gaspé, le téléphone du directeur Roch Lelièvre ne dérougit pas. Du début avril jusqu'en décembre, l'usine transforme cinq millions de livres de poisson de fond, de hareng, de maquereau et de homard vivant. Ces jours-ci, il y a un creux, donc on fait de la transformation de homard », indique M. Lelièvre.

En 2011, l'usine a investi 500 000 $ pour améliorer ses équipements et être en mesure de transformer 350 000 livres de homard cuit par année à partir de 2012. « Il faut s'habituer aux tendances du marché Le consommateur change. Dans les dernières années, il y a eu beaucoup de développement en transformation et il y a beaucoup plus de mécanisation, explique M. Lelièvre. Depuis le moratoire SUT la pêche à la morue en 1992, poursuit-il, on transforme beaucoup plus de sortes de poissons. Avant, c'était 90 % de morue. »

Selon Alain Samuel technicien en procédés industriels chez Merinov, les usines deviennent plus polyvalentes et, comme celle de M. Lelièvre, allongent leur saison en transformant le homard après le crabe. « Ça demande une superficie de travail importante si on passe notre temps à déplacer nos lignes (de travailleurs et de machinerie). La diversification va obliger les usines à s'agrandir. On a des grandes capacités de transformation, mais il nous faut de l'espace », estime-t-il.

En 2010 et 2011, l'usine de transformation de la crevette Pêcheries Marinard de Rivière-au-Renard a renouvelé 90 % de ses équipements, un investissement de 6,7 millions$. « La modernisation était devenue obligatoire. Les créanciers voulaient que l'on soit plus concurrentiel parce que l'équipement était désuet », explique Benoit Reeves, directeur général de l'usine qui transforme maintenant 15 millions de livres de crevettes par saison, comparativement à 10 millions de livres avant la modernisation. La crevette transformée est moins « brisée » et la qualité est meilleure. « Maintenant, on utilise 150 à 250 crevettes pour faire une livre. Avant, c'était 250 à 350 crevettes pour une livre », illustre M. Reeves. Marinard a dû faire face à une période de rodage », comme l'indique son directeur, « mais ça s'est bien passé », s'empresse-t-il d'ajouter.

« Les améliorations apportées dans les usines ces dernières années, et parfois exigées par les acheteurs, ont fait évoluer la qualité des produits, estime M. Samuel. Il n'y a plus de produits scrap qui sont transformés, comme un poisson qui aurait passé 7-8 jours sur un bateau en mer. À part quelques exceptions, tout au long de la chaîne, les gens sont consciencieux. The exemple, dans certaines usines, on décharge le turbot à la main au lieu de le décharger à la fourche, ce qui marque le poisson. » Selon M. Samuel, le Québec a l'avantage d'avoir des programmes d'appui financier intéressants si on les compare à ceux du Nouveau-Brunswick, et qui aident les industriels à évoluer.

 

Emplois à combler

 

En 2009, près de 2 100 travailleurs étaient employés dans les 43 usines de la Gaspésie. Malgré la modernisation des équipements, on ne note pas de diminution importante de main-d’œuvre. « On doit surtout déplacer les niveaux de main-d’œuvre au lieu de l'éliminer ; ça en prend pour l'entretien de l'équipement », explique M. Samuel. Les Pêcheries Marinard, par exemple, emploient encore 200 personnes pendant 20 semaines par année en moyenne. La modernisation n'a fait diminuer que le nombre de semaines de travail qui était de 25 auparavant. Chez Lelièvre, Lelièvre et Lemoignan, ce sont 50 à 125 employés qui travaillent en général de 22 à 24 semaines par année. « On s'en va plus vers une pénurie de main-d’œuvre que vers un manque de travail », avoue M. Lelièvre.

 

Matière première recherchée

 

L’approvisionnement en matière première reste un défi pour les industriels. Le plus gros problème, c'est la matière première qu'on n'a pas. On a du crabe et du homard, mais on n'a pas d'espèces halieutiques comme la morue, la sole ou le flétan », soulève Jean-Yves Dumaresq, directeur de Menu-Mer à Rivière-au-Renard, qui transforme aussi de la moule. Quoique les captures autorisées continuent de baisser, M. Lelièvre constate que le poisson est présent dans le golfe. « Je vois du flétan comme on n'en a jamais vu dans le golfe et ils n'augmentent pas les quotas », s'indigne-t-il. Selon lui, le problème n'est pas la pêche, mais la grande quantité de phoques qui mangent le gagne-pain des pêcheurs. « Ça fait 15 ans qu'on parle du phoque, que c'est urgent. On se rencontre une fois par année (gouvernement et industriels de la pêche) et après, c'est mort le restant de l'année », lance-t-il, impuissant.

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