Le ventre vide, les poches pleines de factures

Camille Laurin-Desjardins, L’Itinéraire, le 1er juillet 2011

Nouvelles taxes, explosion du prix des loyers, augmentation des prix de la majorité des produits de consommation : les Québécois auront le portefeuille de moins en moins garni dans les prochains mois, selon la majorité des économistes. Et les plus touchés seront évidemment les moins nantis, qui avaient déjà de la difficulté à se procurer les produits de base. Pendant que la liste des frais et des dépenses s'allonge, leur liste d'épicerie, elle, rapetisse de plus en plus.

De décembre 2007 à décembre 2010, l'indice des prix à la consommation (IPC) pour le Québec a augmenté de 4,32 %, selon Statistiques Canada. Mais le domaine le plus préoccupant reste celui des aliments, pour lequel l'IPC a fait un bond de 10,23 % en trois ans. Jean-Pierre Aubry, économiste et Fellow associé au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), souligne que l'IPC est calculé en fonction du panier de dépenses des consommateurs de la classe moyenne, dont le salaire a généralement suivi l'inflation. « Par contre, j'aimerais qu'on ait plus d'informations pour avoir un IPC pour les bénéficiaires de l'assistance sociale, parce que leur panier de biens n'est évidemment pas le même. Cela nous permettrait de savoir si nos programmes d'aide progressent au même rythme que l'inflation. »

Pour Serge Petitclerc, porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté, nul besoin de calculer un nouvel IPC pour faire la lumière sur la situation. « On peut dire sans se tromper que la prestation d'aide sociale s'est dégradée depuis les dix dernières années, dit-il, catégorique, puisque l'indexation des prestations d'aide sociale n'a pas suivi l'inflation. »

 

Quand la demande surpasse l’offre

Selon Jean-Pierre Aubry, l'augmentation du prix des aliments s'explique par la simple loi de l'offre et de la demande. « La demande mondiale a augmenté, à cause de la croissance de la population, pendant que des catastrophes naturelles ici et là ont réduit l'offre. Également, des ressources comme le pétrole sont de moins en moins disponibles, mais coûteuses à aller chercher, ce qui augmente les frais. » M. Aubry croit également que la culture d'éthanol-maïs n'a pas aidé à redresser la situation. « Prendre une ressource alimentaire pour produire de l'énergie réduit l'offre et fait monter le prix, nécessairement. Il faut faire très attention dans ce domaine, car les effets pervers peuvent survenir rapidement. »

Frédéric Alberro, vice-président de la section québécoise du Conseil canadien du commerce de détail, considère que la compétition saine qu'il y a sur le marché de l'alimentation au Québec contribue tout de même à atténuer les hausses du prix des produits de base. « Ici, le marché est très compétitif, donc les détaillants ne peuvent pas se permettre de trop hausser les prix. Mais il y a tellement de facteurs qui influencent le prix des aliments : les catastrophes naturelles, le prix de l'énergie, la valeur du dollar canadien, les conditions météorologiques… »

 

Manger à sa faim

 

La mesure du panier de consommation (MPC), élaborée par un groupe de statisticiens mixte, a permis de constater qu'une personne devrait disposer de 14 000 $ par année pour vivre correctement, c'est-à-dire combler tous ses besoins de base. Or, la prestation minimale de l'assistance sociale représente la moitié de ce montant, soit 600 $ par mois.

Sara Samson sait pertinemment qu'il est impossible de subvenir à ses besoins avec un montant aussi dérisoire. « J'ai hâte de pouvoir faire ma propre épicerie, de m'acheter du fromage, même si c'est cher, et de bons morceaux de viande, affirme-t-elle doucement, attablée au Café L'Itinéraire. Le prix des aliments est rendu tellement élevé ! » Elle reçoit de l'assistance sociale depuis le mois de juin 2010, lorsqu'elle a dû quitter son emploi pour prendre soin de sa mère, mourante. Elle est en recherche d'emploi depuis le mois d'octobre, mais ne trouve pas de travail. Sara se nourrit principalement au Café L'Itinéraire et n'aurait pas les moyens de le faire correctement sinon. « Je fais du bénévolat ici toutes les fins de semaine, en échange de quoi on me remet des cartes-repas. » Sara n'est pas la seule à avoir besoin d'un coup de main pour se nourrir. Les banques alimentaires du Québec ont toujours plus de demandes, chaque année. Moisson Montréal a connu une hausse de 22 % des demandes en 2010 par rapport à 2009, tandis que les dons de denrées n'ont pour leur part pas augmenté.

 

Une solution controversée

Faut-il augmenter les prestations des bénéficiaires de l'aide sociale pour contrer les pertes de leur pouvoir d'achat ? Françoise David, chef du parti politique Québec solidaire, n'hésite pas une seconde avant de répondre à la sempiternelle question : « Premièrement, il faut augmenter les prestations minimales que reçoivent les personnes déclarées aptes au travail au même montant que celles qui ont des contraintes. Ensuite, nous proposons d'augmenter le montant à 900 $ par mois pour tout le monde. Il faut donner des prestations qui couvrent le panier de consommation. » Elle ajoute que même un montant de 900 $ ne serait pas suffisant pour couvrir tous les besoins de base : le loyer, l'électricité, le téléphone, le transport, l'alimentation saine, les vêtements…

« Il est intolérable que dans une province riche comme le Québec, on condamne encore des gens à la plus grande pauvreté. C'est une question de dignité… C'est scandaleux ! Je considère que cela relève du mépris et ça m'est insupportable ! » s'emporte Mme David. Mais si la prestation de base augmente à 900 $ par mois, cela n'incitera-t-il pas les gens à ne pas retourner sur le marché du travail ? « Au contraire, croit Mme David, beaucoup de recherches prouvent que les gens qui ont la tête hors de l'eau ont beaucoup plus de capacités pour se chercher un emploi. Avec le montant actuel, ils sont condamnés à l'angoisse et à la mauvaise santé. Ils n'ont donc pas l'énergie de revenir à l'emploi. Et avoir un emploi sera toujours plus payant que l'aide sociale. »

 

Ey ça continue

 

Si M. Alberro ne veut pas faire de spéculations sur la montée des prix dans les prochains mois, Jean-Pierre Aubry croit pour sa part qu'elle continuera son ascension. « La tendance est à la hausse, affirme-t-il. L'écart entre l'IPC total et l'IPC des aliments devrait s'accroître. Mais je doute que ce soit massif. J'ai plutôt l'impression que l'augmentation continuera de se faire de manière graduelle. »

Sara Samson continuera donc de cumuler ses cartes-repas en attendant de décrocher un travail. Elle songe à retourner à l'école, car elle est consciente qu'un diplôme l'aiderait à se trouver un emploi. Mais quoi qu'il en soit, elle ne perd pas le sourire. Ni l'espoir de pouvoir, bientôt, rédiger une liste d'épicerie aussi longue qu'elle le souhaitera.
 

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