Une bavure de société

Catherine Girouard, l’Itinéraire, Montréal, le 1er juillet 2011

Sur la rame de la station de métro McGill, un homme, torse nu sous un épais manteau en plein mois de juin, se promène de long en large. Il marmonne en fixant je ne sais quoi dans le vide, s’arrêtant tous les dix pas pour pointer quelque chose avec le crayon qu’il a à la main. Dans la foule, on l’observe du coin de l’œil, comme une bête de cirque mal apprivoisée qui nous fait honte. Une inquiétude me hante : il pourrait être le prochain Mario Hamel, cet itinérant en état de psychose récemment tué en pleine rue par des policiers.

On a beaucoup parlé de cette histoire, dans laquelle Patrick Limoges, un simple passant, a aussi trouvé la mort. Les policiers ont-ils réellement été menacés? Ont-ils réagi trop vite en tirant sur Mario Hamel? Ce drame aurait-il pu être évité? À peu près toutes les opinions ont été émises sur le drame. À mon avis, cet incident n’est pas uniquement le fruit de la simple maladresse de quatre policiers en service et de leur manque de formation. Il nous plaque en plein visage un grave problème de société : on ne s’occupe pas des gens comme Mario Hamel.

Selon les statistiques, une personne sur cinq souffre de maladie mentale au Québec. C’est énorme. Malgré cela, 17 000 lits en soins psychiatriques ont été fermés en quatre ans au Québec, soulignait l’an dernier Richard Martineau. Avec la désinstitutionalisation, des milliers de personnes ont été abandonnées par le système. On les a balancées à la rue, au nom de la liberté et de la réinsertion sociale, en oubliant un menu détail : plusieurs n’ont pas les outils pour réussir à vivre dans notre monde actuel, et la société manque de ressources pour les accueillir et en prendre soin.

L’ex-conjointe de Mario Hamel a raconté aux journalistes qu’on l’avait un jour renvoyé chez elle après trois semaines à l’hôpital Douglas, un hôpital psychiatrique, parce qu’il refusait les soins et la médication. «Nous sommes incapables de soigner votre mari, madame… Bonne chance!» Voilà le message qu’envoie le système de santé en agissant ainsi.

On ne peut donc forcer quelqu’un à suivre des traitements, mais on peut l’abandonner à son sort, au risque qu’il se fasse tirer dessus s’il dérape?

S’il avait été soigné convenablement, Mario Hamel serait probablement encore en vie aujourd’hui et Patrick Limoges le serait aussi. Selon l’ex-conjointe de Mario Hamel, qui a partagé sa vie durant 17 ans, le père de quatre enfants était une très bonne personne lorsqu’il n’était pas malade. À l’accueil Bonneau, où il logeait, on a dit qu’il était sur la bonne voie jusqu’à tout récemment, car il était en processus de réinsertion.

Parce que le système a abandonné les malades comme Mario Hamel, le jour où la famille – lorsqu’il y en a une – n’est plus capable de s’occuper d’eux, ce sont les policiers qui se retrouvent à gérer la crise. Sans qu’ils possèdent les compétences requises, ils doivent jouer un rôle que les institutions ne jouent plus et se transformer en travailleurs sociaux, dont le nombre est plus qu’insuffisant pour répondre aux besoins toujours croissants.

Comme l’a écrit Yves Boisvert dans une de ses chroniques, «les policiers de Montréal étaient au mauvais endroit, de la mauvaise façon». Je ne dis pas que les quatre policiers impliqués dans l’affaire étaient incompétents, mais le corps policier en général n’a pas les connaissances nécessaires pour composer avec des gens comme Mario Hamel lorsqu’ils sont en crise. Plusieurs rapports en sont venus aux mêmes conclusions, dont celui du Bureau du coroner et de la protection du citoyen, qui souligne le manque de formation et d’encadrement des policiers pour intervenir auprès de personnes souffrant de maladies mentales. Ce rapport fait aussi état d’importantes lacunes dans les soins offerts à ces personnes.

Ce n’est pas un hasard si les refuges sont remplis de gens comme Mario Hamel, qui souffrait de bipolarité et de psychose. Mais dans notre société, on semble accepter qu’il en soit ainsi. On laisse les «fous» déambuler sur le quai du métro en ne se posant pas trop de questions. Ils font partie du paysage.

On les laisse vivre dans leur folie, dans leur misère…

Mario Hamel n’a pas été victime d’une bavure policière, mais d’une bavure de société. Derrière les apparences, ces malades sont souvent des gens extrêmement fragiles qui ne demandent rien d’autre qu’un coup de main. Encore faut-il être en mesure de le leur donner. Il serait temps d’arrêter de jouer à l’autruche, de reconnaître nos erreurs et d’agir avant que notre aveuglement fasse d’autres victimes.
 

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