Que vous cache votre quartier ?

Camille Laurin-Desjardins, L’Itinéraire, Montréal, le 15 juin 2011

Ça y est : vous venez de fermer votre dernière boîte, le distributeur de ruban adhésif à la main. Le camion est loué, les déménageurs engagés, votre nouvel appartement vous attend. Vous êtes prêt. Vous rêvez à votre bene cuisine remplie de lumière et à votre petite cour qui sera idéale pour les barbecues entre amis cet été. Mais avez-vous bien analysé votre futur quartier ? Que connaissez-vous de l'environnement dans lequel vous allez vivre ? Beaucoup d'aspects de votre quartier, même des détails qui peuvent vous sembler anodins, pourraient influencer votre humeur et vos états d 'âme.

Michel Tousignant, professeur de psychologie à l'UQLM, croit que le niveau de sécurité d'un quartier a beaucoup d'impact sur ses résidants. Si ceux-ci ne se sentent pas en sécurité dans les rues de leur quartier, ils auront davantage tendance à s'isoler, ce qui peut les rendre plus déprimés. Les parents, par exemple, auront tendance à garder leurs enfants à la maison, risquant ainsi d'affecter leur développement. « En particulier lorsqu'il s'agit d'une famille monoparentale qui habite un édifice en hauteur, il est difficile de surveiller les enfants lorsqu'ils sont dehors, note.M. Tousignant. Les enfants ne vont donc pas ou peu dehors, ce qui a un impact sur leur humeur, et éventuellement, sur leur santé mentale. L'enfant a un univers social restreint, ct cela peut également affecter J'humeur de ses parents. »

 

HO-MA OUH LALA…

 

Julie Bolduc connaît ce sentiment d'insécurité. L'année dernière, la jeune femme a quitté son premier appartement de Rosemont-Petite-Patrie pour s'installer dans un coin beaucoup moins tranquille et familial du quartier Hochelaga-Maisonneuve, en attendant que le condo qu'elle avait acheté soit construit. En tout, elle n'est restée que huit mois dans son petit appartement de la rue Sainte-Catherine, mais elle a eu l'impression que cela a duré une éternité. D'abord parce qu'elle ne se sentait pas en sécurité, étant quotidiennement témoin de prostitution et de trafic de drogue sur sa rue. « Dans mon ancien quartier, je me promenais souvent toute seule le soir sans problème. Je n'ai jamais eu peur de le faire. Mais là, jamais de la vie ! Je ne sortais jamais toute seule, après 23 heures J'attendais d'avoir quelqu'un pour m'accompagner, et de préférence un homme. » Elle est convaincue que cela a influencé son humeur, car elle n'était pas habituée à une telle situation. « Je suis une personne assez libre, je n'aime pas avoir d'horaire. Et là, je me sentais restreinte. Ça vient jouer sur le moral, c'est évident. Il faut avoir une force de caractère assez impressionnante pour ne pas se laisser démoraliser. »

Le maire de l'arrondissement Hochelaga-Maisonneuve, Réal Ménard, est bien conscient de ces problèmes qui contribuent à donner une mauvaise réputation au quartier. C'est pourquoi il a mis en place plusieurs mesures pour combattre l'insécurité que peuvent ressentir les résidants. « Nous avons augmenté l'éclairage dans certaines parties du quartier, installé davantage de surveillance dans les parcs. On essaie d'animer les lieux. Cet été, il y aura des cadets en présence continue sur la rue Sainte-Catherine », affirme M. Ménard. Malgré tout, le maire reste confiant, en partie grâce à la vie communautaire, qui selon lui anime le quartier. « Cela permet aux gens seuls de vivre une expérience de socialisation et de vaincre leur isolement. »

 

Le mot clé – communauté

 

Michel Tousignant croit également à cette notion de vie communautaire : « Le fait d'être bien dans un quartier ne dépend pas de son architecture, mais du réseau social qu'on peut s'y former, avance-t-il Quand les gens d'un quartier se développent un réseau social, ils prennent soin les uns des autres et tout le monde se sent davantage en sécurité. » Cela repose donc d'abord sur la permanence des résidants, sur leur volonté de s'établir dans le quartier pour y rester. « Saint-Henri est un bon exemple, ajoute M. Tousignant. Les familles s'y sont établies depuis longtemps, les gens y demeurent de génération en génération. Les résidants se préoccupent donc des voisins, ils ont un attachement au quartier, donc celui-ci est plus propre. »

Julie, pour sa part, ne parlait pratiquement pas à ses voisins durant son séjour dans Hochelaga-Maisonneuve, ce qui ne l'a pas aidée à apprécier son nouveau quartier. « Je ne me sentais même pas chez moi, se souvient-elle. Je me sentais un peu dépressive, ça jouait beaucoup sur mon humeur, c'est sûr. Je devenais plus agressive, moins active, plus paresseuse. » Elle n'avait pas du tout l'impression de faire partie d'une collectivité. « Les rues étaient malpropres, beaucoup de gens ne faisaient pas attention à leur quartier. Et voir des couches souillées dans la rue le matin, c'est sûr que ça n'aide pas nécessairement à bien démarrer ta journée ! », lance-t-elle avec un petit rire ironique.

 

Va prendre l’air !

 

Outre la sécurité, plusieurs caractéristiques d'un quartier qui peuvent sembler banales en apparence ont un réel impact sur la santé mentale. Sophie Paquin, professeure associée à l'UQAM en urbanisme, donne tout d'abord l'exemple de la marche. « Dans des quartiers où tout est central, par exemple dans l'est ou dans l'ouest de la ville, les gens vont prendre leur voiture pour tous leurs déplacements. Et il est scientifiquement prouvé que la marche aide à réduire les risques de dépression, en plus de favoriser des rencontres, des échanges de sourires, ce qui permet de sentir qu'on fait partie de la société. » Sans compter que la sédentarité entraîne évidemment des problèmes de surpoids, qui peuvent également altérer la santé mentale d'un individu. Selon Mme Paquin, il est important de favoriser les espaces piétonniers.

Votre super appartement est situé en bordure d'une voie de circulation importante ? Il se peut que cela ait des impacts sur votre santé physique et mentale. La pollution de l'air, plus importante dans les quartiers traversés par des rues à fort débit de circulation, augmente le risque de maladies cardiaques et de naissance de bébés frêles. Et le bruit que produisent toutes ces automobiles ? « Pour les enfants, par exemple, la pollution par le bruit peut entraîner des problèmes d'apprentissage, de la difficulté à se concentrer et des problèmes de sommeil », indique Mme Paquin, tout en spécifiant que les recherches sur le sujet sont encore peu nombreuses et qu'il est donc difficile d'arriver à une conclusion avérée.

Pour la spécialiste en urbanisme, la solution passe entre autres par la réduction de la circulation automobile et par la présence d'espaces verts à proximité des résidants. « En Europe, plusieurs études ont démontré que la présence de verdure dans les hôpitaux et instituts psychiatriques aide au rétablissement plus rapide des patients. » Mme Paquin croit que la même logique s'applique en ville : les citoyens doivent avoir accès à des parcs, ou encore avoir la possibilité de jardiner pour contrer les effets néfastes que peut avoir la ville à certains égards.

Alors finissez de défaire vos boîtes, donnez un dernier coup de pinceau, et dépêchez-vous d'installer des bacs à fleurs dans votre cour ! Mais quoique vous fassiez, en ces temps de déménagement, ne ramassez surtout pas un divan ou un matelas dans la rue, car les punaises de lit causent de nombreux dommages physiques et psychologiques, peu importe le quartier dans lequel elles se trouvent !
 

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