L’État se désengage, les menaces fusent

Marie-Ève Duschesne, Droit de parole, Québec, juin 2011

Le gouvernement coupe dans les services publics. Il fait pression sur les organismes communautaires pour prendre la relève. Il remet en question leur autonomie. C’est depuis avril 2001 qu’existe au Québec une politique de reconnaissance de l’action communautaire autonome. Cette politique permet, entre autre, de financer la mission globale aux organismes en défense collective des droits.

Lors de la troisième rencontre nationale de l’action communautaire autonome, les 29 et 30 mai 2001, 150 représentantes de différents secteurs d’action communautaire ont décidé majoritairement d’appuyer cette nouvelle politique. En adoptant cette politique, avons-nous fait un pas de plus vers une société démocratique ou avons-nous créé l’ouverture pour un contrôle de notre mission ? Je vous propose ici un portrait des inquiétudes qui peuvent planer quand on regarde ce qui se passe au niveau de la lutte à la pauvreté, des Centres locaux d’emploi (CLE) et des groupes de défense de droits des personnes assistées sociales.

 

Un droit malmené

 

Bien qu’essentiel à la démocratie, le droit de manifester et de contester l’ordre établi ne fait pas l’unanimité au sein de l’État. Ainsi, pour certains, il s’agirait de l’une des plus grandes contradictions de ce mode de financement puisque, quotidiennement, les groupes de défense collective des droits « mordent la main » de ceux qui nourrissent leur mission globale. Jusqu’à quand « la main » acceptera-t-elle cette contestation ? Jusqu’à quel degré de « morsure » pourra-t-elle se rendre ? Y a-t-il une stratégie derrière tout ça ?

Tout comme nombre de personnes assistées sociales au Québec, plusieurs groupes de défense collective des droits des personnes assistées sociales souffrent de sous-financement. Chômage en été, périodes de fermeture, mises à pied sont le lot de plusieurs groupes membres du Front commun des personnes assistées sociales du Québec. Pour tenter de comprendre comment l’État pourrait réagir pour aider ces groupes et, par le fait même, la démocratie au Québec, voyons un peu ces réactions actuelles du point de vue de la lutte à la pauvreté en général.

 

Lutte à la pauvreté

 

Depuis 2002, une loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale a été adoptée. De cette loi découlent différents plans de lutte à la pauvreté. Le dernier, intitulé Le Québec mobilisé contre la pauvreté, sorti en juin dernier, est axé beaucoup sur la mise sur pied de tables locales de concertation (appelée Approche territoriale intégrée — ATI) pour lutter contre la pauvreté. Hautement contestée par les groupes, cette stratégie locale ne s’attaque aucunement aux causes structurelles de la pauvreté. On se contente ici de reléguer la lutte à la pauvreté à certains « acteurs et actrices du milieu », de créer des projets par secteur, projets tournant principalement autour de services pouvant temporairement atténuer certains effets de la pauvreté sans pour autant l’abolir.

Pour diminuer les effets du sous-financement des groupes de défense de droits des personnes assistées sociales, le même principe pourrait-il s’appliquer ? Malheureusement, oui. Avec le principe de convergence appliqué par Jean Charest depuis son élection en 2003, les compressions budgétaires dans les services publics se font sentir. C’est le cas, du moins, dans les Centres locaux d’emploi (CLE), et ce, de manière plus agressive depuis un peu plus d’un an.

 

Coupures de services

 

Un peu partout, on assiste à la centralisation des services par région. Ainsi, il n’est pas rare de voir le modèle suivant s’appliquer. Dans une même région, on centralise les premières demandes d’aide sociale dans un CLE, les dossiers déjà actifs dans un autre et ceux des personnes ayant des contraintes sévères à l’emploi dans un autre. Qu’arrive-t-il avec les autres CLE d’une même région ? La recette diffère, allant de la fermeture, à certains endroits, à la formule Visio-Guichet 1 pour d’autres. Ces compressions attaquent directement le droit à l’aide sociale, puisque ces centralisations de services viennent avec des coupures dans le personnel (seulement une agente d’aide sociale sur deux est remplacé à l’heure actuelle). Résultat : les personnes assistées sociales qui font une première demande ne sont plus rencontrées par un ou une agente ; elles sont d’ailleurs de moins en moins rencontrées. Depuis l’application de cette nouvelle procédure, où l’on demande aux agentes de rencontrer le moins de personnes possible, une personne sur deux voit sa demande rejetée dans certains CLE de la région de Québec. Pire encore, près de 70 % des demandes sont rejetées en Abitibi.

En sachant ce qui se passe au niveau des services offerts aux personnes assistées sociales, que pourrait-il se passer avec les groupes qui défendent leurs droits ? Affamés par leur sous-financement, ces groupes iront-ils jusqu’à dénaturer leur mission de défense collective pour pallier l’information et l’accompagnement pratiquement indisponibles dans les CLE ? Se verront-ils offrir des subventions pour jouer ce rôle à moindre coût pour l’État ? Pire encore, notre financement deviendra-t-il conditionnel à ce rôle ?

 

Vigilance

 

Commençons dès maintenant à être vigilantes face à cette tendance pour assurer la résistance contre toute attaque aux droits des personnes et aux groupes qui les défendent. Rappelons-nous toujours l’objectif de participation à une vie démocratique active quotidienne qui nous anime. N’oublions jamais que les organisations où nous militons proviennent des mobilisations populaires où les gens se regroupaient pour se donner une voix. Parce que l’essence même de nos groupes populaires sont les personnes au cœur du projet de société que nous cherchons à bâtir un peu plus chaque jour.

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