Pour un Québec enfin fou de ses enfants

Jérôme Savary, L’Itinéraire, Montréal, le 15 juin 2011

La crise financière traversée en 2010 par le Dr Julien l’avait rendu maussade. Un an plus tard, la pédiatrie sociale a le vent en poupe. Porté par un soutien populaire toujours croissant et par l’appui – si longtemps promis ! – du gouvernement, le Dr Julien aide plus que jamais les enfants en difficulté. Prêt à en découdre, le « doc » veut relever un objectif de taille : aider les établissements publics à rejoindre les enfants vulnérables du Québec, soit 30 ? % des enfants et des familles que l’État laisse échapper entre les mailles de son filet social.

En entrevue dans les bureaux de son centre de pédiatrie sociale d’Hochelaga-Maisonneuve, Gilles Julien apparaît confiant, voire enthousiaste. « Ce Québec fou de ses enfants » va finir par se réaliser, croit-il. Plus aucun d’entre eux ne tombera entre deux chaises. »

Un Québec qui prend soin de tous ses enfants ? C’est possible, à condition que la pédiatrie sociale fasse beaucoup de petits, partout dans la province. « On a déjà cartographié les endroits où se trouvent les enfants les plus vulnérables, explique le Dr Julien ; ceux-ci sont évidemment associés aux endroits de grande pauvreté. Selon des experts, deux cents sites devraient bénéficier d’un centre de pédiatrie sociale au Québec. »

Des sept centres existant actuellement aux deux cents prévus ultimement, il y a plus qu’un pas à franchir : « L’objectif théorique ultime est élevé, mais si on a une cinquantaine de centres d’ici cinq ans, on aura déjà une masse critique qui permettra d’influer de façon importante sur les pratiques des systèmes [de santé, d’éducation, de justice, de services sociaux, etc.]. »

Pour que tout cela se réalise, tout le monde doit se mobiliser pour que le nombre de centres de pédiatrie sociale explose. « Je crois sincèrement que c’est un investissement très rentable pour nos enfants. Si on n’est pas capable de faire ça, je crois que la situation de ces enfants ne s’améliorera pas. »

 

Ils l’aiment

 

Pour l’instant, son succès populaire aide le Dr Julien à rester en selle. Travaillant d’arrache-pied pour nos petits, le Dr Julien est effectivement l’une des personnalités québécoises les plus appréciées. « Les gens qui viennent ici se sentent bien chez nous. Ils m’identifient à certaines valeurs fondamentales : l’entraide, la famille, les enfants. J’ai l’impression de porter ça, moi. C’est gros un peu… »

Ce soutien populaire réjouit le pédiatre. « Les gens m’arrêtent. Souvent. N’importe où. C’est fou raide. J’peux-tu vous donner la main ? Ça, j’apprécie énormément. Quand de tels événements se produisent, je me dis ok, j’vais continuer. Ils m’appuient et j’ai besoin de ça. Sans ce soutien de la population, j’arrête, je ne peux pas continuer. Donc je suis très comblé. Pour l’instant, car tout peut changer, je me sens l’un des privilégiés de la planète. Vraiment. »

Sentir qu’il a tous ces gens derrière lui donne le guts, comme il dit, pour aller cogner aux portes pour aller chercher du financement et défendre les intérêts des enfants vulnérables. « Je représente une masse populaire qui veut que les plus nantis de ce monde financent ces affaires-là. Pour cela je veux que les gens d’affaires qui réussissent au Québec, qui sont connus, investissent dans les enfants du Québec. »

 

Défi de société

 

Le défi est de taille. Est-ce celui d’un seul homme ? Celui d’une société ? « Selon le Dr Bolduc [ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec], 30 % de la population du Québec est difficile à joindre par le réseau public de santé et de services sociaux ; il s’agit des plus vulnérables, souligne Dr Julien. Le ministre semble croire en l’approche de pédiatrie sociale. Selon lui, si nous arrivons à aller chercher 10 % de ces enfants-là, ce serait déjà une réussite. »

Selon Gilles Julien, la pédiatrie sociale en communauté a fait ses preuves et l’ensemble du Québec doit maintenant bénéficier de cette manière différente de soigner les enfants en situation de vulnérabilité. « Ces enfants-là représentent notre capital social, insiste le pédiatre. Perdre 30 % de nos enfants, soit ceux qui décrochent parce qu’on n’a pas les ressources pour bien intervenir dans leurs premières années de vie, ce n’est pas quelque chose que le Québec peut se permettre. D’abord au plan éthique, puis en termes de capital humain. »

Heureusement, le Dr Julien n’est décidément pas seul, comme le prouvent les sommes record amassées chaque année lors de la Guignolée du Dr Julien. « Je remercie sans cesse la population de cet appui extraordinaire. Sans cela, je n’aurais jamais pu avancer jusqu’ici et je ne pourrais pas aller plus loin. » Toute la population se montre alors investie de cette mission d’aider les enfants vulnérables de notre société. Rassurant. Le gouvernement, aussi, est enfin de la partie.

 

Merci L’Itinéraire

« Il y avait des pourparlers depuis au moins deux ans, mais c’est à la suite de l’article de L’Itinéraire, finalement, que le gouvernement du Québec a fini par trouver les moyens de bouger, indique le docteur. Mi-décembre, on a signé une entente de trois ans avec le ministère de la Santé et Services sociaux, à raison d’un million de dollars par an jusqu’en avril 2013. Ça nous a pas mal aidé à respirer. » Le premier article de la série que L’Itinéraire avait consacré au fameux médecin avait effectivement jeté un pavé dans la mare. Soulignant que les finances de la pédiatrie sociale étaient déficitaires, le texte avait été repris par Le Devoir. À partir de là, les événements se sont enchaînés.

Les établissements publics spécialisés dans les domaines de l’éducation et de la santé ont également accepté de se rallier au Dr Julien. « Ce que j’observe cette année, c’est que ça bouge de partout : les Centre de santé et de services sociaux (CSSS), la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), plusieurs centres jeunesse, tous sont prêts à partager certaines des ressources en personnel pour la pédiatrie sociale. On n’aurait jamais réussi ça il y a cinq ans. » Selon lui, ces ententes facilitent la mise en place des centres de pédiatrie sociale au Québec et ce partenariat aide à mieux rejoindre la population vulnérable.

« Par-te-na-riat » : ces mots reviennent souvent dans la bouche du pédiatre. Pas étonnant, puisque cette philosophie est au cœur même de l’approche de la pédiatrie sociale en communauté qui est constamment dirigée vers la mise en commun des savoirs et des connaissances pour le bien-être de l’enfant. « L’une des priorités de la pédiatrie sociale est de ne jamais dupliquer les services déjà présents dans la communauté », rappelle-t-il.

En véritables partenaires, les établissements, comme les hôpitaux, les Centres jeunesse, les CSSS, les écoles, les CPE et même les tribunaux, profiteront davantage de ce réseau étendu. « La méthode de pédiatrie sociale est une méthode d’apprivoisement et de proximité, explique le Dr Julien. Le lien de confiance qu’on réussit à créer avec les enfants et leur famille fait en sorte qu’ils reviennent et qu’ils veulent recevoir nos services. Si on ramène des enfants à l’école et qu’on les introduit ensuite progressivement dans le réseau de santé et services sociaux et d’éducation, eux et leur famille, ça permet aux réseaux, aux établissements publics, d’agir plus efficacement. »

 

Docteur en « super forme »

 

Figure de proue de la pédiatrie sociale, celle-ci ne peut pas encore vraiment se passer du charismatique docteur pour assurer son avenir. Heureusement, Gilles Julien pète le feu. « Je suis en super forme, dit-il en entrevue. Je vais participer au défi Pierre Lavoie en juin [17, 18 et 19 juin] : on part de Chicoutimi, en vélo, et on pédale pendant trois jours et trois nuits en relais. » Pas pire pour un homme de 65 ans !

Féru de vélo, il ne devrait cependant plus avoir à « pédaler » pour boucler son budget. Les difficultés financières passées l’ont amené à faire preuve désormais d’une prudence extrême. Par ailleurs, les façons de pratiquer la pédiatrie sociale ont été passées au peigne fin. « Cette crise-là, en 2010, a permis de réfléchir à ce que l’on voulait être et a souligné l’urgence d’assurer la pérennité de la pédiatrie sociale. Selon nous, la pédiatrie sociale ne se résume pas aux centres d’Hochelaga et de Côte-des-Neiges. Ce que nous voulons, c’est, à partir des connaissances qu’on a acquises, déployer un réseau qui va nous aider à gérer la situation difficile des enfants vulnérables du Québec, et ce, dans le respect de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. » Gilles Julien n’a cependant pas d’autre choix que celui de se tourner vers le secteur privé pour faire progresser la pédiatrie sociale, puisque la réussite de la guignolée et le soutien du gouvernement ne sont jamais assurés. La précarité est toujours là, présente. Mais le Dr Julien jouit d’une fantastique image, qu’il entend monnayer : « Plusieurs chefs d’entreprise me demandent « Comment on peut investir avec toi ? Je leurs réponds : « Tu peux utiliser n’importe où le fait que tu investis avec le Dr Julien, mais investit ». Pis pas des peanuts, là. J’veux pu de peanuts. »

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