Le communautaire est-il encore populaire ?

Richard Amiot, Droit de parole, Québec, juin 2011

Le mouvement communautaire croule sous les exigences administratives exorbitantes du gouvernement et les menaces diffuses des fondations privées : on assiste à l’émergence au Québec du « philanthrocapitalisme » à l’américaine. Il se crée une dizaine de nouveaux groupes communautaires chaque année à Québec (région 03). Il en disparaît aussi quelques-uns, comme l’Association de cuisines collectives et créatives de Québec (AC3RQ), à laquelle le gouvernement a coupé les vivres en 2009, sans que la qualité des services qu’elle rendait ait jamais été mise en cause. Rien ne l’a remplacée pour aider à la mise sur pied des cuisines collectives à Québec.

 

Financement public

 

Le gouvernement provincial est le principal bailleur de fonds des groupes communautaires. La part d’autofinancement de chacun varie beaucoup, mais Québec leur a versé 844 126 380 $ en 2009-2010 (pour 5 070 organismes — et non 1 milliard de $, comme nous l’avancions erronément dans un récent article. Voir : « Le communautaire dégriffé et… privatisé », mai 2011, p. 11). Dans la région de la capitale nationale, la même année, c’était 70 610 420 $, pour 436 organismes (et non 230 m $ pour 300 organismes. Excusez l’hyperbole bien involontaire). D’ailleurs, ces montants varient selon ceux qui les examinent. Ainsi, dans le secteur de l’environnement, le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) dit financer 86 organismes communautaires à hauteur de 17 208 953 $ (dont 12 organisme de la capitale nationale, pour un montant de 2 299 289 $).

Pourtant, le Réseau québécois de l’action communautaire autonome (RQ-ACA) a trouvé des subventions totalisant seulement 390 000 $, pour 2 organismes appuyés par ce ministère. C’est que le RQ-ACA (rassemblant la plupart des organismes communautaires au Québec, par l’intermédiaire de 59 regroupements ou associations nationales) ne considère pas les conseils régionaux de l’environnement (CRE), les organismes de bassin versant des rivières et les comités ZIP (zone d’intervention prioritaire) comme des organismes communautaires. Ce sont des créatures du gouvernement. De même, le RQ-ACA ne considère pas les Carrefours jeunesse-emploi comme des organismes communautaires. Pour le RQ-ACA, l’État québécois avait, en 2008-2009, consacré quelque 446 m $ au soutien de la mission des organismes communautaires autonomes et avait conclu avec eux des ententes de service totalisant près de 248 m $, en plus de 50 m $ pour des projets ponctuels.

 

Une politique publique

 

La valse des millions étourdit. Elle ne doit pas faire oublier l’essentiel du débat sur l’action communautaire : l’autonomie. Qu’est-ce qui distingue une vraie organisation communautaire (par définition, à buts non lucratifs) autonome : une assemblée générale souveraine des membres ; l’élection libre des dirigeants ; une autonomie de gestion garantissant l’exercice de ces droits. Sans remettre en question les principes démocratiques, le gouvernement cherche sans cesse à exercer un contrôle grandissant sur leur gestion.

 

Le philanthrocapitalisme

 

Le gouvernement pousse aussi de plus en plus le communautaire dans les bras des fondations privées qui peuvent lui imposer des orientations auxquelles les organisations de base n’auraient pas consenti normalement. Mis ainsi face à des fondations privées (qui n’ont pas d’autres comptes à rendre qu’à leurs propriétaires), comment réagir, sinon en se pliant à leur volonté ? Surtout quand le gouvernement fait dépendre son propre financement de la faveur des mêmes fondations ? Ainsi seraient-on passé, presque sans s’en apercevoir, « de la philantropie au philanthrocapitalisme » 2 attaché au char de l’État. Si le monde communautaire se plaint des comptes à rendre à l’État, qu’en sera-t-il avec le privé ?

 

Drôle de fête

 

L’automne 2011 marquera le 10e anniversaire de la Politique de reconnaissance et de financement de l’action communautaire autonome adopté en grande pompe sous le gouvernement Bouchard. Les célébrations, si célébrations il y a, se dérouleront dans une atmosphère lourde de suspicion et même de franche hostilité du monde communautaire à l’endroit de gouvernement.

Tous les programmes de finacement sont revus selon une politique n’ayant fait l’objet d’aucun débat démocratique ; la reddition de comptes (rapports au gouvernement) gruge chaque année plus d’énergie ; les mêmes plaintes reviennent année après année à l’endroit d’un gouvernement qui en demande toujours plus. Ainsi le président d’un regroupement régional écrivait-il, ce printemps : « Il est carrément inadmissible, vous en conviendrez certainement, que les réponses aux demandes d’aide financière déposées en mai 2010 dans le cadre du PSISC (Programme de soutien aux initiatives sociales et communautaires) n’aient été rendues qu’en mars 2011. […] Trouvez-vous normal que la réponse aux projets 2010 ait été donnée 1 mois avant le dépôt des nouvelles demandes 2011, soit un an après leur dépôt — les rendant des coups nécessairement caducs vis-à-vis de leur échéancier ? ! » Le gouvernement se comporte-t-il ainsi avec les entrepreneurs privés ?

Le point d’orgue du 10e anniversaire de la Politique de reconnaissance et de financement de l’action communautaire autonome sera un colloque du RQACA, les 23 et 24 septembre, à Longueuil. À cette occasion, le monde communautaire souhaite, affirme le RTQ-ACA que « le gouvernement actuel se commette publiquement et politiquement davantage en faveur de l’actuelle Politique ».
 

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