La Santé publique dit oui. La Ville dit non. La société dit quoi ?

Richard Amiot, Droit de parole, Québec, juin 2011

La raison, et non les préjugés, doit guider les prises de positions de tous et chacun dans un débat comme celui qui a maintenant cours sur l’implantation d’un site d’injection supervisé (SIS) pour les usagères de drogues injectables (UDI) dans le quartier commerçant du centre-ville de Québec. C’est quand même un exercice difficile et il faut féliciter le comité de quartier de St-Roch et son président, M. Louis-H. Campagna, d’avoir pris la décision hardie d’engager publiquement le débat sur la question : « Un SIS au centre-ville de Québec contribuera-t-il positivement et sur le long terme à la qualité de vie du plus grand nombre ? »

Répondant à quelque pression obscure, le comité exécutif de la Ville a préféré, lui se prononcer dès le 17 mai, sans plus étudier la question, sans entendre la population et sans attendre le rapport des audiences publiques du comité de quartier de St-Roch. Quelle sagesse la conseillère du district des Faubourgs, Chantal Gilbert, n’a-t-elle ainsi pas démontrée… « Cheap shut », a commenté M. Campagna ! Le 26 mai, le comité a fait néanmoins rapport des audiences publiques du 14 mai — auxquelles 150 personnes ont participé, déposant une quinzaine de mémoires, certains très savants et documentés. Le 16 juin, en faisant connaître sa position, le comité de quartier devait bien admettre que rien de concluant ne peut ressortir de ce processus, à ce stade, faute d’un consensus encore à bâtir.

Point de repère a été à l’origine de ce débat, du moins à Québec, quand son directeur, M. Mario Gagnon, a annoncé dans les pages de Droit de parole, en février 2010, qu’il entendait ouvrir à Québec un service comme Insite, à Vancouver, dans un an. La seule question qui semblait se poser à ce moment-là était de savoir quelle ville, de Montréal ou Québec, serait la première à le faire.

Bon ! un an, c’était un peu court, avant l’inauguration, mais pour faire démarrer le débat sur les chapeaux de roues, c’était bien envoyé. Un an et demi plus tard, nous en sommes à distinguer entre connaissances et préjugés, perceptions et réalités.

Derrière les principes, la morale telle que tout le monde la comprend (c’est-à-dire différemment pour chacun) et même les statistiques de la santé publique se profilent quand même des êtres humains, ayant droit à la vie, à la sécurité et à des soins de santé adéquats comme tout un chacun. On ne partira pas de chasse aux êtres humains dans les rues de Québec, qu’il s’agisse d’UDIs ou de fumeurs de tabac.

La Direction de la santé publique (DSP), elle, fait dans le documenté et le scientifique, et elle recommande une telle implantation, parce que c’est la bonne méthode pour réduire les méfaits publics (désordre et nuisance publique, délits divers) qu’entraînent ces maux chez les individus ; pour leur venir en aide et leur apporter les soins appropriés auxquels ils ont droit. Toute la littérature scientifique (à de rares et parfois douteuses exceptions) milite en faveur de cette solution adoptée par nombre de grandes villes en Europe.

Les mémoires rendus publics sur la page Internet du comité de quartier 1 ne vont pas tous dans ce sens, on s’en serait douté. L’acceptation sociale, pour nombre de résidants et pour les membres de la Société de développement commercial du centre-ville (SDC), n’est pas là. Et c’est ce qui met en danger l’installation d’un tel service, même si d’autres résidants et même des commerçants admettent qu’un SIS contribuerait grandement à réduire les méfaits sociaux de la consommation de drogue.

D’autres, pensant faire une bonne affaire, veulent qu’on y vienne, mais à condition d’implanter un SIS à proximité d’un centre hospitalier, loin du centre-ville. Dans tous les cas, ce n’est plus dans leur cour. Mauvaise pioche.

La chose n’est pas exclue. D’ailleurs, à la DSP, on jongle avec l’idée de plusieurs SIS, histoire de mieux rejoindre les usagères, dont certains à proximité de services de santé (hôpitaux, CLSC, cliniques médicales). Une solution que n’excluait pas non plus d’emblée le directeur de Point de repère, comme un pis-aller, au cas où l’acceptation sociale d’un SIS ne serait décidément pas acquise. Malheureusement, nous apprenait aussi Mario Gagnon, pendant les échanges ayant clos les audiences, le déménagement de Point de repère, en 2010, de la rue St-Joseph à la rue Dorchester, vraiment pas loin, peut-on penser, a eu un effet dramatique sur la fréquentation du service, la distribution de seringues stériles, les conseils en santé et l’aide sociale au UDI. Quelque chose comme 50 %. Une dure côte à remonter. Vraiment, ce genre de services doit être implanté très près des clientèles.

Et elles sont là, dans les rues marchandes et les places publiques. On ne les en chassera pas. Ça, c’est une vue de l’esprit. D’ailleurs, tous les UDI, se plaît à rappeler Mario Gagnon, ne sont pas des junkies des images d’Épinal. Il y a l’infirmière ou la femme d’affaires débordée, incapable de gérer son stress ; il y a le père qui ne veut pas s’injecter chez lui, au risque d’être surpris par les enfants.

Et si quelqu’un pense qu’il suffit d’un peu de volonté… (Y’a pas seulement Yves Bolduc qui pense comme ça.) Qu’il aille s’en confesser !

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