Charles-Eugène Bergeron, Bio-Bulle, La Pocatière, mai-juin 2010
Le dépérissement des colonies d'abeilles a commencé en Europe vers 1960 mais s'est précipité en 1998, entraînant une première alerte internationale du secteur de l'apiculture. Depuis, de nombreux chercheurs de par le monde ont ausculté le malade et ont trouvé des pistes de solutions qui dépassent de beaucoup ce sur quoi la communauté mondiale des apiculteurs ont une emprise. Une vaste vague de solidarité est indispensable dans toutes les sociétés car le déclin des pollinisateurs et des ruchers domestiques est comme le serin dans sa cage au fond de la mine, dont la mort préfigure celle des mineurs. Nous pouvons agir individuellement et collectivement en investissant dans des pratiques régénératrices et pour y parvenir, un plaidoyer concerté pour sauver la biodiversité essentielle aux pollinisateurs et à l'apiculture est à entreprendre.
Mais quels arguments peuvent être invoqués afin de persuader la société et nos décideurs politiques et économiques qu'il est vital de mieux connaître, de mieux conserver et de promouvoir la biodiversité agro forestière essentielle à la survie des abeilles domestiques et des autres polinisateurs?
Et quelles mesures de protection des pollinisateurs naturels et domestiqués sont accessibles pour les propriétaires privés et publics de terrains et les gestionnaires du territoire pour venir en CI aide au secteur agricole et apicole au Québec? Voici en quelques lignes l'état des lieux ainsi que des réponses possibles et souhaitables pour l'avenir de notre monde.
L’ONU sonne l’alarme
Les effets combinés d'une quarantaine de causes de stress – dont l'accumulation est létale – affaiblissent le système immunitaire et déciment les colonies d'abeilles domestiques. Plusieurs facteurs sont mis en cause : des agents biologiques (ravageurs, virus, bactéries, parasites…), des agents chimiques (pesticides et bio-ingénierie molécu- laire, la pollution de toutes sortes lumineuse, électromagnétique, poussières, aérosols), la perte de biodiversité sauvage et domestiquée, la perte d'habitat, les changements climatiques et certaines pratiques de gestion de la production apicole. Dans un rapport du 10 mars 20nI le Programme des Nations-Unies pour l'environnement (PNUE) souligne les menaces qui pèsent sur les insectes pollinisateurs, au premier rang desquels figurent les abeilles. Achim Steiner ; porte-parole du PNUE, déclare que « dans un monde de près de sept milliards d'humains, nous sommes plus dépendants de la nature, et pas non l'inverse ». Pour compenser une production de miel de plus en plus erratique, l'abeille domestique Apis mellifera est de plus en plus utilisée pour la pollinisation des aires de culture et de cueillette, notamment au Québec avec les bleuets et les canneberges. Sans pollinisateurs, jusqu'à 75 % de la productivité des bleuetières du Québec s'envolerait. Si les cultures dépendantes de la pollinisation augmentent de par le monde, les habitats favorables aux pollinisateurs diminuent sans cesse, de par l'industrialisation du territoire agricole et l'étalement urbain.
Notre devoir d’intendance
Dans le domaine de la biodiversité, la FAO a fait de 2010 une année charnière pour l'amorce d'un grand chantier planétaire de restauration et de régénération. Et pour cause, la biodiversité, sur laquelle repose particulièrement la survie des ruchers et des espèces pollinisatrices du monde, est une condition essentielle de la survie de l'espèce humaine. Albert Einstein a un jour déclaré que « I’humanité ne survivrait pas plus de cinq années sans la présence des abeilles ». Or, la population de l'abeille domestiquée aurait diminué de 50 % dans les dix dernières années…
Une prise de conscience puis une action concertée, du citoyen-consommateur aux décideurs industriels et politiques, de l'échelle locale à celle nationale sont impératives. Nous avons collectivement un devoir de meilleure intendance de la Création. Que ce soit la Pachamama des autochtones latino-américains ou la Gaïa d'un James Lovelock, la Terre-Mère en tant que communauté vivante a ses lois que de plus en plus de gens ressentent intimement et que de plus en plus de scientifiques démontrent comme étant incontournables « pour notre avenir à tous ». C'est d'ailleurs ce thème que Gro Bruntland a choisi en 1991 en élaborant le concept du développement durable, tant galvaudé de nos jours. Pour ne pas faire en sorte que l'espèce humaine ne s'avère qu'une' erreur de la nature, il n'en tient qu'à nous de jeter les bases d'une nouvelle économie écologique et de nous y engager résolument.
Et c’est payant en plus!
Les décideurs jaugeant les priorités à l'aune du profit, force est de mettre de l'avant des arguments économiques qui sont maintenant établis. Ainsi, dès les premiers paragraphes d'une étude4 réalisée en 2008 pour le Bureau régional du Québec de la Fédération canadienne de la faune (FCF), l'entomologiste Madeleine Chagnon traite de la valeur monétaire estimée en 2008 des services rendus par les pollinisateurs. Ce sont 35 % de la production alimentaire mondiale (en volume) qui dépendent d'eux, pour une valeur globale annuelle estimée à 239 milliards$ CAN/an. Quelque 125 cultures, surtout fruitières et légumières, représentent une valeur unitaire moyenne de 1 189 $ CAN/Tm comparé aux 236 $ CAN/Tm de valeur moyenne des cultures pollinisées par le vent, telles que le blé, le maïs et le riz. Au Québec, la productivité de la plupart des fruits cultivés, de toutes les cucurbitacées (courges, concombres, citrouilles) et des légumineuses, de la luzerne aux pois mange-tout, dépend essentiellement des pollinisateurs et principalement des abeilles domestiques.
La croisade d’Anicet et des camarades
Des apiculteurs d'élite, tels qu'Anicet Desrochers en Hautes-Laurentides, militent pour une apiculture de terroir, écologique, paysanne et durable. Cela fit le sujet en 2010 d'un remarquable documentaire de Pascal Sanchez et intitulé La reine malade. Pour sécuriser les 40 % des aliments que mangent les Québécois et qui dépendent des pollinisateurs, Anicet et ses semblables misent sur la sélection naturelle de souches d'abeilles résistantes et résilientes. La nordicité québécoise est avantageuse grâce à certains aspects zoosanitaires, mais désavantageuse pour la résilience des colonies, en raison de son rude hiver de plus en plus ponctué de redoux. Le printemps venu, les apiculteurs québécois, malgré les efforts du CRAAQ et de rares spécialistes apicoles, sont quasiment laissés à eux-mêmes pour interpréter les symptômes et estimer les facteurs aggravant les risques de mortalité et d'affaiblissement de plus en plus sévères des colonies de 25 à 65 % de pertes selon les cas, une situation inouïe.
L’apiculture se complexifie
À une conjugaison mortifère du réchauffement climatique, de pollution de toutes sortes et de propagation de nouveaux pathogènes, s'ajoutent en synergie de nouveaux agresseurs d'origine humaine. Les plus à craindre sont des biocides systémiques pour les grandes cultures et l'horticulture. Des insecticides systémiques de plus en plus rémanents, de la famille des néonicotinoïdes, parmi lesquels la clothianidineMD7 formulée en enrobage des semences, sont d'usage courant même quand la pression des ravageurs n'est pas avérée. Pire encore, une toute récente génération de molécules formulées en application foliaire, celle du spirotetramatMD, a la capacité de se disperser dans tous les recoins de la plante, dans les produits de sa décomposition et dans l'environnement. Cet insecticide systémique est maintenant homologué au Canada sous le nom commercial Movento par l'agro pharmaceutique Bayer. Les tests d'homologation sont bien faits mais sur une substance à la fois, alors que dans les ruchers et les aires de butinage, tout est en interrelation.
Aider et informer
La filière apicole internationale est très inquiète et a fédéré la prise en charge de grands défis sous l'égide d'Apimondia, dont le prochain congrès aura lieu du 21 au 25 septembre en Argentine. Il est question au Conseil canadien du miel d'organiser en novembre 2012 à Québec, avec Apimondia, un congrès international de trois jours sur la santé du rucher et sur l'élevage des reines.
Il nous manque au Québec énormément de connaissances sur l'écologie, les mœurs et les habitats des pollinisateurs naturels et sur leurs interactions avec les pollinisateurs introduits et par les producteurs agricoles. Quant à l'étalement urbain, paradoxalement, certains chercheurs auraient mesuré que les villes et leurs banlieues à travers le monde seraient des milieux davantage bio diversifiés et hospitaliers pour une gamme de pollinisateurs naturels sauvages, indigènes ou exotiques, introduits volontairement ou non par l'homme, Peur le grand public, la campagne éducative de 2008 de la Fondation canadienne de la faune regorge d'information et de guides vulgarisés pour familiariser petits et grands avec les pollinisateurs. L'Institut de l'abeille, basé en France, est un bon point de départ pour qui veut en savoir plus sur les enjeux de la biodiversité en fonction de la sauvegarde des abeilles et des pollinisateurs, en général.
Par où commencer?
Sans entrer dans les détails, voici ce qui devrait impérativement être mis en œuvre au Québec pour sauvegarder la biodiversité et la biomasse pollinisatrice, que ce soit en milieu urbain, suburbain ou rural, au niveau du parcellaire, du local, voire du régional et du national.
· Investir dans la recherche et l'acquisition de connaissances sur les abeilles, les pollinisateurs et la flore indigènes et leurs interactions entre elles et avec la production agricole;
· Inventorier et reconnaître en région les pollinisateurs sauvages et leurs habitats déjà établis;
· Créer des sites appropriés de nidification pour les insectes pollinisateurs;
· Aménager dans le paysage des bandes et des massifs fournissant une diversité de plantes qui fleurissent tout au long de la saison de croissance et en évaluer les effets sur les pollinisateurs;
· Ajuster les pratiques de gestion des terrains existants afin d'éviter les préjudices aux floraisons nourricières et aux habitats convenables pour les pollinisateurs;
· Améliorer, restaurer ou créer des habitats pour les papillons, les bourdons et les abeilles;
· Ne pas utiliser d’insecticides.
À ces recommandations inspirées de celles formulées en 2008 par Madeleine Chagnon, j'ose ajouter que lorsque vous avez un nid de bourdons ou de guêpes aux abords ou auprès de votre résidence, tâchez d'adapter votre attitude et vos comportements à leur présence. Faites preuve d'un grand respect, d'un amour, d'une gratitude et d'une compassion pour ces incessants ouvriers du bien commun. Ces derniers sont sensibles à notre état d'esprit envers eux.
Ne soyons pas bougons avec nos bourdons!
C'est une merveille de voir la familiarité et l'affection d'un Anicet pour nos sœurs les abeilles, fort bien illustrée dans le, film La reine malade – un must! Nos émotions dégagent des phéromones auxquelles les insectes pollinisateurs répondent, il est très rare, sauf par accident, que même une guêpe attaque une personne qui ne se comporte pas de façon agressive envers elle, La semaine dernière, en voyant fondre les neiges fugaces de mars, Anna, une fillette de sept ans avec laquelle j'ai le privilège de partager mon quotidien m'a dit : « J'ai hâte de revoir les Gros-Papas-Bourdons ! ». Le nid mystérieux de ces derniers dans le sol, juste sous le portique, la chez nous à Charlesbourg, nous occasionne de longues minutes de contemplation ; leur vol lourd et bruissant est plutôt amusant, autour et dans les plats attrayants de nos déjeuners sur véranda.
Bienvenue chez nous aux bourdons et aux abeilles !