Perception de la presse écrite communautaire :
Votre journal dans l’œil du milieu
Que ce soit dans les mémoires présentés l'automne dernier lors des consultations ministérielles intitulées « Pour une information au service de l’intérêt public », dans diverses publications où il est question de l'état de la presse québécoise, ou encore lors d'échanges informels avec des intervenants locaux, la presse communautaire semble avoir… bonne presse! Nous sondons ici les acteurs qui entretiennent d'ordinaire des relations avec les médias écrits communautaires du Québec.Scénario : la scène se passe lors d'un 5 à 7 où tout le gratin de la MRC se donne rendez-vous. Vous y représentez le journal communautaire, car votre nom figure toujours sur la liste des invités pour ce genre d'activités. L'hôte est un CLD, organisation dynamique qui veille au développement économique du territoire. Le sujet de la rencontre? Une entreprise de chez vous créera onze emplois sous peu. Vous prenez trois photos, menez quelques entrevues et conversez avec un élu et un fonctionnaire d'Emploi-Québec. Vous retournez chez vous, recadrez le meilleur cliché avec Photoshop, rédigez votre texte, trouvez un bon titre. Ce sera publié. En refermant votre ordinateur, vous pensez que tout ce boulot relève de la routine; vous vous dites presque : « Et puis, à quoi bon? » Sauf que…
Dans les heures qui ont précédé l’événement, les organisateurs ont pensé à vous. Non pas seulement pour vous inviter, mais pour votre présence attendue. C'est que le journal communautaire est généralement apprécié au Québec, si l'on se fie à notre enquête. Voilà qui peut dissiper vos doutes alors que, parfois, un élu grincheux remet votre travail en question, une subvention est réduite, ou encore une publicité est retirée; comme si votre travail ne valait plus l'investissement.
Relayeurs d'information
« Je considère que ces journaux ont une très grande importance pour le développement local de notre territoire », nous a écrit Stéphane Lalande, directeur général du CLD des Pays-d'en-Haut, à Sainte-Adèle. « Ces entités sont des relayeurs d'information essentiels afin que l'on puisse rejoindre plus facilement et largement notre clientèle ». Soucieux de soutenir l'implication d'individus dans leur communauté, M. Lalande se fait un point d'honneur d'inviter « les élus et membres de comités ou de conseils d'administration à être présents lors de points de presse», car il sait que des médias y seront aussi pour en témoigner. «Leurs photographies dans un article permettent de consacrer la participation citoyenne active dans l'amélioration de la communauté», précise-t-il.
En 2008, dans un rapport intitulé «L'état de la situation médiatique au Québec – L'avis du public», le Conseil de presse du Québec soulignait également l'importance de la visibilité des élus et des enjeux dans les médias, sans lesquels s'ensuivrait «une mauvaise compréhension des problèmes et des difficultés vécues dans les régions». Une information de plus à classer dans la catégorie «responsabilité des médias». Responsabilité qui, bien sûr, va de pair avec un journalisme neutre et indépendant.
Même son de cloche au CLD Abitibi, où Jocelyn Lapierre nous a dit voir les journaux communautaires comme «des outils de communication exceptionnels pour nos petites collectivités». Il ajoute que «leur importance sur la prise en charge locale est majeure. Que ce soit pour le lien avec le milieu ou pour l'appartenance à celui-ci.» Son organisation a d'ailleurs déjà mené un sondage dont les résultats s'apparentent à ceux que l'AMECQ a toujours diffusés : «Les citoyens de chacun des milieux lisaient leurs journaux locaux à plus de 90 %, donc nettement plus que ce que nous savions des journaux régionaux et quotidiens», explique M. Lapierre, qui déduit que ces médias permettent «des placements publicitaires nettement plus payants et efficaces».
Tout à côté, la MRC d’Abitibi-Ouest écrivait il y a quelques années dans son Plan de diversification et développement pour les trois prochaines années (2007-2010), que «les journaux communautaires sont parmi les médias les plus près du citoyen, surtout en milieu rural. Par ce moyen, la population peut s’approprier l’information ou l’agenda local et bénéficier d’un reflet de son propre milieu et de sa propre culture.»
Une exception pour confirmer la règle
Toutefois, les qualités de la presse communautaire trouvent peut-être moins d'adeptes chez un autre groupe: ses concurrents. Dans un mémoire remis lors des audiences de la ministre St-Pierre tenues en novembre dernier à Montréal, Cogeco semblait critiquer certains choix de la ministre qui aimerait voir Télé-Québec assurer la diffusion d'une «information au service de l'intérêt public» au Québec, en tandem avec les médias communautaires. Au sujet de ces derniers, que Cogeco décrit comme étant, pour la plupart, «déjà tributaires de fonds publics», l'entreprise a tenu à souligner que d'autres «médias des secteurs public et privé sont également présents dans l’écosystème de l’information régionale et interrégionale».
«Ce serait une erreur de poser comme prémisse qu’il y a un manque total d’information régionale et interrégionale à l’extérieur des médias communautaires, coopératifs ou indépendants. La Société Radio-Canada (SRC), Transcontinental et Quebecor ont une présence active avec des médias, des sites web et des contenus régionaux dans la plupart des régions du Québec», argumente Cogeco.
De plus, Cogeco oppose aux médias communautaires la force de l'entreprise privée et ses moyens. On donne l'exemple de la création récente de l’agence Cogeco Nouvelles : «Cette initiative, qui comporte des ressources importantes et des plates-formes entièrement numériques, a été réalisée entièrement par les fonds propres de notre entreprise, et nous n’avons reçu aucune subvention pour concrétiser notre projet.»
Un organisme compréhensif
De fait, les journaux communautaires n'ont pas les moyens des grands groupes qui font de la convergence. Lors de la même tournée d'audiences l'automne dernier, le Conseil régional de la culture et des communications de la Côte-Nord (CRCCCN) a quant à lui consacré la totalité de son mémoire à la presse communautaire. Cette dernière tient «un rôle crucial sur l'immense territoire nord-côtier», où elle est généralement «à la fois la seule source d’information locale, mais aussi un des rares outils collectifs de développement et d’animation culturelle», écrit l'organisme. Néanmoins, remarque la direction du CRCCCN, certains de ces médias «sont confrontés à un important roulement des ressources humaines et à un personnel inexpérimenté qui parfois n’est pas formé en journalisme». L'organisme, conscient des réalités propres aux organes de presse de proximité, ajoute que «plusieurs médias communautaires sont incertains, d’une saison à l’autre, de la continuité ou non de leurs activités, et cela, pour des raisons de manque de ressources financières».
Beaucoup du temps des médias communautaires est consacré à «rédiger les demandes de financement, à solliciter des dons et contributions, à organiser des activités de collectes de fonds», soutient le CRCCCN, qui enjoint entre autres le gouvernement à indexer annuellement sont aide selon le taux d’inflation, à bonifier le budget du PAMEC de 10 à 15 %, et à inciter les ministères et sociétés d’État à respecter la politique du placement de 4% de publicités gouvernementales dans les médias communautaires.
Alors que les journaux communautaires semblent bien positionnés dans le paysage médiatique québécois, que leur pertinence semble faire consensus, de nombreux défis se présentent, dont ceux de la professionnalisation et de l'interrégionalisation.
Dans le premier cas, tout tourne autour de la pratique journalistique pure et son intégration difficile dans le quotidien d'un OBNL médiatique mené «par et pour des citoyens». Dans le second cas, on préconise la mise en place éventuelle – possiblement par Télé-Québec – d'une structure informationnelle panquébécoise permettant une diffusion des actualités régionales faisant contrepoids à la montréalisation. Dans cette optique, avec leur ancrage territorial, les journaux communautaires se retrouveront incessamment sous les feux de la rampe.
Alain Théroux,
Agence de presse du Québec