Parenthèse, l’histoire d’une prison à ciel ouvert

Chantal Gailloux, L’Itinéraire, Montréal

Pierre Côté vit avec 592 $ par mois, l'équivalent du fameux chèque de BS. Une parenthèse dans sa vie, qu'il dit, pour jouer pendant deux mois au cobaye – ou plutôt à l'assisté social – pour la télésérie documentaire sur la pauvreté, Naufragés des villes. Avec les contraintes que ça comprend, bien sûr : pas de carte de crédit, pas de voiture, pas de confort. Pas de marge de manœuvre.

Pierre a troqué sa vie douillette de consultant en marketing à Québec pour incarner un assisté social à Montréal. « Je souhaitais provoquer une cassure et voir ailleurs si je pouvais exister », explique Pierre dans le livre qu'il a écrit sur son expérience, Parenthèse deux mois d'errance urbaine. La cassure est profonde : « La seule issue pour survivre, c'est la résignation, qui est la mort de l'âme, je crois. On se sent comme dans une prison à ciel ouvert, pire encore que la vraie, parce que tout est accessible et que rien n'est possible », explique-t-il à L’Itinéraire, D'ailleurs, en mode privation, conditionnement et errance, Pierre a perdu 17 livres.

« À mon retour, ma vie « antérieure » m'a rattrapé, mais pas si vite : dix jours après être rentré chez moi à Québec, j'ai commencé à écrire mon livre, qui est un récit très intimiste, raconte-t-il. Ce qu'on voit dans la série, c'est une chose. Ce que j'ai vécu, c'en est une autre, pas nécessairement à l'opposé, mais différente. » En se fiant à ses 170 pages de notes, il en publie 256 dans Parenthèse en y intégrant des notions de l'Indice relatif de bonheur (IRB), l'observatoire social qu'il a fondé en 2006.

La cassure maintenant cicatrisée, la vie continue, (J'ai le même sentiment qu'avant : j'ai peur de la pauvreté, avoue Pierre Côté, Je ressens de l'inconfort, un pincement au coeur quand j'y suis confronté. Je les juge moins qu'avant, je les comprends mieux, mais c'est comme si on avait peur que ça nous contamine. Deux mois à vivre comme ça, à 53 ans, ça change les perceptions, mais pas une personne, même si mes prises de position sont désormais plus fermes à l'IRB, »

Sont-ils suffisants ces 592 $? Seulement 8 % des répondants d'une étude de l'IRB se croient en mesure de vivre ainsi, alors que le montant moyen exigé serait 1 725 $ par mois, soit trois fois plus que le chèque de BS. En novembre 2010, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale du Québec dénombrait encore 478 209 prestataires de cette aide de dernier recours. Ce qui enrage Pierre Côté ? Le fonctionnement de l'assistance sociale, l'éducation perçue comme un privilège et l'immobilisme politique. Mais aussi les idées arrêtées de la société sur les assistés sociaux, puisqu'une étude de l'IRB parue en novembre dernier révèle que 87 % de la population croient à tort que plus de 10 % des assistés sociaux abusent et profitent du système. « Une honte nationale ! », dit-il en rappelant que le ministère de l'Emploi chiffre les assistés profiteurs à seulement 5 à 6 %.

Il déplore aussi l'omniprésence des maladies mentales chez les assistés sociaux ou encore l'inaccessibilité du transport pour les plus démunis à Montréal-le ticket de métro à près de 3 $ l'unité et le dépôt de 250 $ sur la carte de crédit pour le louer un BIXI le prouvent.

Heureusement, le milieu communautaire et social offre sans contredit les services les plus rédempteurs. « Que ce soit une cuisine populaire ou un centre de soutien psychologique, s'il fallait qu'ils disparaissent, ce serait une catastrophe », soutient Pierre.

Ce dernier se dit finalement optimiste face à l'avenir, mais pas à court terme, pas avant une bonne décennie, « Au Québec, c'est le désert : aucun projet mobilisateur, déplore-t-il. Et il faudrait changer notre individualisme pour plus de collectivisme, de solidarité. »

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