Les gros dansent aussi

Véronique Chagnon, L’Itinéraire, Montréal

Deux jeunes chorégraphes pulvérisent te mythe de la danseuse frêle et aérienne. À la recherche d'une scène où tous seraient les bienvenus, Émilie Poirier et Pascal Desparois déboulonnent l'ultime tabou du monde pourtant très libéral de la danse contemporaine : le gras. Les deux diplômés du baccalauréat en danse de l'UQAM mettent leur âme (et parfois un peu plus) à nu et présentent Les Gros, du 10 au 13 mars prochain, à Tangente.

« Appelons un chat un chat : on est gros », lance Pascal Desparois, sans façon. Passionnés par une discipline où le corps règne en maître intransigeant, Pascal Desparois et Émilie Poirier ont dû subir plus souvent qu'à leur tour le regard accusateur du milieu. Ils parlent des préjugés qui leur font la vie dure dans un spectacle parfois humoristique qui les met en relief avec quatre autres danseurs au corps bien sculpté. Ils racontent ainsi le jugement au quotidien. « C'est une attaque contre la vision que certaines personnes ont de la danse, celle où la scène est la chasse gardée des corps minces », explique Émilie.

Au-delà de leur message pour le monde de la danse, Les Gros s'adresse aussi au citoyen ordinaire et à ses idées reçues sur le gras. « Les gens ont l'impression que les gros sont paresseux, qu'ils mangent mal. On ne montre jamais les gros, sauf pour rire d'eux », regrette Pascal, qui souhaite présenter la beauté émanant de la diversité des corps.

Grosses ou minces, beaucoup de personnes subissent le regard du miroir. Les deux chorégraphes admettent d'ailleurs qu'ils peinent à accepter leur anatomie atypique, Selon eux, les gros n'ont pas le monopole de ce grand mal du XXIe siècle. « Tout le monde vit ce qu'on vit, personne ne se trouve parfait », croit Émilie, qui veut aussi lancer la réflexion sur le corps comme seul barème de jugement.

Pour montrer la différence, les chorégraphes ont choisi de se dévêtir. Pourtant, Pascal Desparois et Émilie Poirier cassent du sucre sur le dos des chorégraphes qui utilisent le naturisme à tous les vents. Ils estiment toutefois que la nudité est justifiée dans un projet qui s'attarde à la tyrannie de l'image conformiste. « Je ne pourrais pas demander aux gens de m'accepter si je ne disais pas franchement : "Voici ce que je suis" », explique Pascal. Émilie est du même avis, même si elle avoue avoir un soupçon de crainte quant à la réaction du public, public qu'elle espère bien garni.

Car, avant tout, Émilie et Pascal veulent monter un spectacle qui attirera le grand public, amateur de danse ou non. Les chorégraphes croient que la danse flirte trop souvent avec des thèmes insaisissables, pendant que les bonzes du milieu scandent qu'ils l'ont démocratisée. « On a du mal à se reconnaître là-dedans. Notre sujet à nous est plus proche des gens, et on danse pour vrai », s'exclame Pascal en faisant, au passage, un clin d'oeil aux chorégraphies plus théâtrales.

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