L’art de tuer un village

Daniel Pezat, Le Reflet du canton de Lingwick

Depuis plus de trente ans, le rouleau compresseur est en marche. Petit à petit, les communautés rurales sont écrasées, aplaties, rayées de la carte du Québec.

L'image du rouleau compresseur est peut-être forte. En fait, c'est plus subtil, plus sournois que ça. Le canton de Lingwick n'échappe pas à ce nivelage. Dans les années soixante-dix, c'est notre école qui a été fermée, non pas tant par manque d'enfants que pour favoriser un village plus gros.

À la fin des années quatre-vingt, nous avions une manufacture de couture qui donnait de l'emploi aux gens de chez nous. Elle aussi est disparue. Dans les années quatre-vingt-dix, c'est notre bureau de poste qui a été remplacé par un comptoir au magasin général. Avant ça, c'est le comptoir de Gould qui avait été fermé.

Durant les années 2000, notre caisse populaire est devenue un point de service Desjardins. Dernièrement, elle a mis fin à des avantages dédiés aux aînés. La fabrique planifie tranquillement sa disparition…

À l'automne 2010, c'est une compagnie minière qui, s'appuyant sur une loi aussi injuste qu'immorale, se propose de faire de l'exploration au cœur de nos villages. En fin d'année passée, nous apprenions, via une circulaire, que nos services postaux seraient réduits. Où cela va-t-il s'arrêter ? Jusqu'à quand allons-nous nous laisser dépouiller de nos biens, de nos services et de nos droits ?

Les services diminuent par manque de population et la population diminue par manque de services. Bon, c'est vrai, je pousse un brin. Le syndrome de la saucisse est tout de même bien là.

Chez nous, il se fait des efforts et de bons coups pour changer la donne. Que ce soit le conseil municipal, l'entreprise privée ou les organismes, tout le monde a à cœur de voir vivre notre canton. Le drame, les pressions, l'idée de nous voir disparaître vient d'ailleurs. Et toujours pour la même maudite raison : le profit ! La piastre ! L'aspect humain, fuck ! Quelqu'un, quelque part, voudrait bien nous voir parqué en ville pour diminuer les coûts de services et surtout laisser le champ libre aux compagnies d'exploitation en tous genres.

La commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) n'est pas en reste, contrôlée par l'UPA (Union des producteurs agricoles) ; elle se fait complice de cette façon de faire en bloquant de nouvelles constructions d'habitations pour, supposément, protéger les terres agricoles. Au fait, pouvez-vous me dire pourquoi le propriétaire d'une terre a du mal à pouvoir bâtir une nouvelle maison pour ses enfants, alors qu'une entreprise minière ou gazière a tous les droits pour ravager la même terre ?

On dirait que chaque fois qu'il se fait quelque chose de bien pour notre canton, quelqu'un pour mal faire nous met des bâtons dans les roues ; on a l’impression de se battre contre le système imperméable au bon sens. On dirait que le gouvernement veut à tout prix fermer les petites communautés.

Pour les jeunes, l'attrait de la ville ne s'arrêtera pas demain. Pourtant, partout dans notre MRC, il se fait des efforts de rétention. L'amour de nos collines sera-t-il suffisant pour garder nos enfants et attirer les jeunes adultes en quête d'air pur et d'espace ? Pourtant, nous avons une vie sociale et communautaire dynamique. Il reste le problème des emplois. Ce n'est pas d'hier qu'ils sont rares dans le canton, bien du monde doit aller travailler loin de la maison. Le travail autonome a encore du mal à s'implanter chez nous. Pourtant, Lingwick n'est qu'à un peu moins d'une heure de route de Sherbrooke ; il pourrait devenir (je n'aime pas le terme) une cité-dortoir, loin de la pollution et du bruit. Crack! 

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