Le démon du midi et quart

Pierre Routhier, Le P’tit Journal de Malartic, le 30 novembre 2010

Ça y est, je suis devenu un vieux « mononcle ». Dans la grande liste des étapes d'une vie d'un homme, celle de vieux « mononcle » vient immédiatement après le démon du midi. Cette dernière, certes mieux connue parce qu'elle donne souvent lieu à des écarts de conduite et à une concentration inopinée de testostérone, n'a pas réussi cependant à marquer mon cursus masculin.
 
Heureux en amour et emporté à mon corps défendant par mon rôle de père sur le tard, je n'ai rien vu passer des élans de désirs et de la nostalgie de mes vingt ans, qui font pourtant les choux gras de bien des hommes aux tempes nouvellement grisonnantes. Nenni, niet, nada.
 
Il faut dire que je n'ai jamais été ce qu'il est convenu d'appeler un tombeur de ces dames et encore moins un Don Juan moderne. Le terme timoré du midi serait par ailleurs plus convenable en ce qui me concerne. Disons que j'ai toujours accepté ma situation et que je n'ai pas de regret en matière de vie de jeunesse. Le problème central des démons du midi étant qu'ils veulent retrouver leurs élans de la vingtaine en oubliant que les corps en ont plus que le double, j'ai vite atteint ce plateau par une vie de jeunesse qui s'est étendue jusqu'à la mi-trentaine et un petit peu plus. Résumons en précisant que j'ai plutôt vécu une crise de la quarantaine alors que je n'avais que trente ans à peine. Cette avance sur l'ordre des choses m'a permis non seulement d'être fidèle en amour-propre et envers l'autre, mais surtout de ne pas avoir de désirs inassouvis…
 
Si le témoignage que vous lisez en ce moment est tout en « je », c'est que je suppose qu'il peut s'accoler à ce que peuvent vivre plusieurs hommes dans la cinquantaine. Ma grande magnanimité m'amène à partager mon état d'âme pour que ça puisse servir à d'autres et ainsi éviter les élans de vieux mononcles qui ont l'heur d'irriter les plus jeunes qui subissent ma façon de s'exprimer et surtout le regard que je porte sur le monde actuel.
 
On devient vieux mononcle quand nos phrases commencent régulièrement par « dans mon temps ». Quand nos réponses aux demandes qui nous sont adressées se résument par un non catégorique avant de réfléchir et de fléchir. Quand le journal que nous lisons se retrouve au bout de nos bras pour être capable de faire le focus sur les textes. Quand des habitudes quotidiennes se transforment en tics et en tocs. Quand on doit prendre une tasse d’eau chaude citronnée pour faire passer les rôtis de lard et les patates jaunes. Quand la sonnerie du téléphone nous fait lâcher un tabarn… !
 
Dans mon temps, lorsque nous allions à la messe, nous étions tenus de rester calmes, de regarder en avant et de nous taire. Nous assistons à la cérémonie en pensant au retour à la maison, au repas que nous allions prendre et aux jeux que nous allions pratiquer à l’extérieur. Parce que dans mon temps il n’était pas question de passer des heures et des heures et des heures enfermés dans la maison. Il s’agissait d’une punition.
 
Le vieux mononcle en moi raconte tout ça parce que j’ai assisté à une messe pas plus tard que samedi dernier, avec toute ma tribu, alors qu’une de mes filles recevait le sacrement de la confession. Une fois installé dans un banc de l’aile gauche de l’église, je me suis mis à observer l’assemblée. Des personnes de tous âges étaient rassemblées pour célébrer le passage juvénile à la profession de la foi.
 

Le vieux mononcle en moi a été frappé pour ne pas dire scandalisé de voir des jeunes se comporter comme s’ils assistaient à un discours d’un politicien, c’est-à-dire en manquant de respect envers l’orateur. Il s’agit bien sûr du regard et de l’interprétation d’un vieux mononcle, mais quelqu’un peut-il m’expliquer pourquoi des personnes passent toute une cérémonie à jouer sur un fameux iPod touch ou encore à répondre des textos sur des téléphones que l’on dit intelligents ? C’est moi qui ne peux plus suivre l’évolution des choses et sont-ce les effets non avoués de mon nouvel état de vieux mononcle ?

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