La menace

Daniel Pezat, Le Reflet du canton de Lingwick, octobre 2010

Il est 5 heures. En ce matin de septembre, je prends mon café sur la galerie. Le jour se lève sur les collines du côté de la rivière Rouge. De la brume dans les creux de terrain, le murmure du ruisseau proche. Tout est paix et tranquillité. Pourtant, je sens comme une anxiété de voir toute cette nature saccagée au nom du profit. La menace est là, elle gronde et je m'inquiète.

Le gouvernement de Jean Charest est pourri jusqu'à la moelle. Je n'invente rien. Tous les médias font état de la corruption qui ronge l'Assemblée nationale. Toutes les commissions d'enquête n'y changeront rien ; elles ne sont d'ailleurs dans les circonstances qu'une parodie où l'on cherche un peu n'importe quoi, mais sûrement pas la vérité.

Le gouvernement du Québec, c'est bien connu, est à la solde entre autres des lobbies des grandes compagnies minières, pétrolières et gazières. Nous avons appris récemment qu'il venait d'accorder trois cents permis d'exploration du gaz de schiste. Personne ne sait trop quelles en seront les conséquences. Ce qui est certain : la pollution sous toutes ses formes sera au rendez-vous. Lingwick pourra-t-il y échapper ?

Le gaz de schiste provient de roches qui ont acquis une structure feuilletée sous l'influence de contraintes tectoniques. Le gaz de schiste se forme par la lente décomposition de matière organique. Elle est enfouie par les sédiments. Avec le temps, elle se transforme en hydrocarbure. Sous l'effet de la chaleur et de la pression, le gaz naturel se forme dans des roches mères : des schistes. La majeure partie du gaz se déplace des roches mères vers des roches plus poreuses comme le grès et le calcaire. En fait, le gaz de schiste est du gaz naturel emprisonné dans les schistes.

Le forage pour l'exploration n'est pas sans risque. Les émissions fugitives de méthane et des fuites de sulfure d'hydrogène, un gaz explosif et toxique, sont très dangereuses pour la santé. Il y a aussi un gaspillage de grandes quantités d'eau pour procéder à l'extraction. Des injections de solvants chimiques dans le sol pour fractionner le schiste et en extraire les bulles de gaz contamineront les sols et la nappe phréatique. De très grands bassins de récupération de l'eau contaminée, dont on ne sait pas à ce jour trop quoi faire, sont nécessaires.

Au Québec, l'obtention de permis de prospection ou extraction de gaz de schiste n'est pas conditionnelle au règlement sur l'évaluation et l'examen des impacts sur l'environnement. Des citoyens ou des groupes ne peuvent donc pas déclencher une audience du BAPE (Bureau d'audiences publiques sur l'environnement) sur un tel projet. Le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs ne dispose pas encore de directives pour encadrer l'octroi de certificats d'autorisation environnementale. Ceux-ci ne sont même pas toujours nécessaires pour les puits d'exploration. La Loi sur les Mines empêche par ailleurs les municipalités inquiètes de s'opposer à des projets de prospection ou d'exploitation. Elles ne peuvent pas limiter de tels projets, par exemple, par des règlements de zonage. De plus, les propriétaires fonciers n'ont aucun droit sur le sous-sol. Les droits miniers appartiennent à l'État qui les cède à qui bon lui semble.

Nous voici de retour aux belles années de l'Union nationale et du cheuf Maurice Duplessis qui bradait nos minerais à un cent la tonne. Nous devons tous ensemble ne pas laisser se commettre les mêmes inepties. Les conditions nébuleuses dans lesquelles sont accordés des permis, le manque d'information et de transparence de l'industrie et du gouvernement, l'absence dans ce dossier des municipalités et des citoyens autour d'un choix si crucial reflètent bien la vision qu'a l'État de la gestion de nos ressources. Il faut le dénoncer. Nous devons tous faire partie du débat. L'histoire de l'énergie au Québec montre qu'il faut se méfier des ballounes. Souvenons-nous du nucléaire, de l'éthanol, du Suroît, rappelons-nous le forage pétrolier, les ports méthaniers, les pipelines, les petites centrales, le harnachement inutile des dernières grandes rivières, le développement chaotique de l'éolien, etc. Le développement du gaz de schiste n'est qu'une autre balloune politico-économique qui pourrait être très préjudiciable au développement énergétique à long terme du Québec.

Nous devons être prudents. Il faut exiger des études d'impact à l'échelle locale, régionale et nationale de ce développement industriel majeur. Ces études doivent se tenir loin de toute connivence entre les politiciens et les brasseurs d'affaires.

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