Gaz du schiste : L’indispensable moratoire

Jean-Claude Laundry et Luc Dufresne, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, le 12 octobre 2010

Bien peu de gens avaient déjà entendu parler des « gaz de schiste » avant que ne débarquent dans plusieurs localités québécoises des équipes d’exploration, comme venus de nulle part, pour évaluer le « rendement » que pouvait bien leur procurer le sous-sol québécois.

Les citoyens, mêmes les élus locaux, ont été tenus dans la plus totale ignorance quant aux « arrangements » qu’avait convenus notre gouvernement avec quelques entreprises, pour la plupart étrangères au Québec, qui avaient « flairé le pactole » que représente l’exploitation de cette nouvelle ressource énergétique.

C’est ainsi qu’ils ont appris de la bouche des représentants, souvent unilingues anglophones, que ces entreprises qui s’installaient à l’improviste sur leur territoire ou leur terrain détenaient des « mineral claims duly authorised ». Des permis accordés par le gouvernement du Québec sans le moindre débat public ou d’étude sérieuse sur l’opportunité et les risques d’une telle exploitation. Ils ont aussi appris, avec consternation, que la loi sur les mines accordait aux entreprises détentrices de permis toute latitude pour opérer tant sur les terres publiques que sur les propriétés privées. Comme l’écrit Jacques B. Gélinas dans un article consacré à cette loi : « L’article 26 de la Loi stipule que nul ne peut interdire ou rendre difficile l’accès à un terrain contenant des substances minérales. La compagnie n’a pas besoin d’informer le propriétaire ni d’obtenir son consentement pour y installer les infrastructures nécessaires à l’exploration et à l’exploitation. Si elle ne peut s’entendre à l’amiable avec celui-ci, elle peut l’exproprier. »

Profitant de ce contexte des plus laxistes, les compagnies autorisées se sont empressées de procéder et de s’installer avant que la population, informée de l’affaire, n’exprime des réticences susceptibles de leur compliquer les choses. Il fallait, de toute urgence et avec la complicité active du gouvernement, créer un état de fait destiné à empêcher tout retour en arrière peu importe les résultats des recherches à venir et des débats que l’affaire allait susciter.

Or ce débat est bel et bien engagé et l’affaire est plutôt mal partie pour nos « prospecteurs » modernes. Placés sur la défensive, ceux-ci articulent l’essentiel de leur discours autour des traditionnels maîtres mots « retombées économiques », « création d’emplois » et « redevances » et clament sur toutes les tribunes que l’exploitation du gaz ne comporte que des avantages et ne présente aucun danger. Et ces arguments sont fidèlement repris par le gouvernement puisqu’il puise l’essentiel de ses informations auprès de l’industrie elle-même.

Cependant beaucoup d’autres citoyens, sans être opposés à tous crins à l’exploitation des gaz, se montrent plus circonspects et appellent à la prudence. Dans les localités où les entreprises sont déjà à l’œuvre, on constate surtout les désagréments qu’entraînent leurs activités et on appréhende les effets et les risques qu’entraînerait l’exploitation à grande échelle des gisements de gaz. Et les informations qui parviennent des États-Unis où les gaz de schiste sont exploités depuis un certain temps nous portent à prendre « avec un grain de sel » les assurances que nous servent l’industrie et le gouvernement dans ce dossier.

La ministre Nathalie Normandeau déclarait lors de la conférence annuelle de l’Association pétrolière et gazière du Québec en 200 que le gouvernement voulait « mettre de côté la bureaucratie. On veut faciliter votre vie, parce que nous sommes bien conscients qu’en facilitant vos vies, on va permettre de créer plus de richesse au Québec. » Si le projet de loi sur les hydrocarbures prévu pour le printemps prochain devait aller dans ce sens, on peut dès maintenant prévoir le genre d’impact qu’aurait une telle loi, notamment pour nos communautés locales.

L’inquiétude, l’incompréhension et la mobilisation citoyenne suscitées par les agissements du gouvernement et l’industrie du gaz les obligent aujourd’hui à délaisser la culture du secret et à faire campagne pour « informer » et « rassurer » la population. Pour calmer le jeu, le gouvernement a, en catastrophe, confié au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement BAPE le mandat, peu contraignant, de se pencher sur les gaz de schiste. Mais tout cela n’arrête pas la poursuite à marche forcée de l’exploration, rendant peu probable, voire impossible, tout retour en arrière peu importe les conclusions des débats et des études à venir. Voilà pourquoi le gouvernement doit donner suite aux appels pour un moratoire sur l’exploration. Ne pas le faire équivaut à bâillonner les citoyens quand il s’agit de l’usage de leurs ressources naturelles.

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