Libérer la peinture

 
 

Francis Poulin, Entrée libre, Sherbrooke, juin 2010

Le graffiti est une forme d’art. Il n’y a pas matière à débats ici. Depuis ses débuts dans les ghettos new-yorkais des années 1980, le graff est devenu un art très populaire grâce à son accessibilité et son utilisation simple et intuitive. Aux États-Unis, des artistes comme Fab Five Freddy ou Jean-Michel Basquiat sont maintenant exposés dans les musées d’art.

De rendre sa pratique illégale empêche seulement cet art de se développer en le préservant dans une culture adolescente qui cultive l’idée du vandalisme et du crime au lieu de la créativité et de l’expression. Il suffirait d’organiser une exposition ambulante des dessous de ponts sherbrookois pour démontrer le talent qui y est à l’œuvre. Toutes les grandes villes en Amériques ont maintenant des centaines de murs légaux où s’exposent des milliers d’artistes de la canette. On peut y voir des œuvres grandioses et colorées, témoignages uniques de notre époque. Des Chapelles Sixtine en plein air.

Selon M. Serge Paquin, conseiller de l’arrondissement du Mont-Bellevue et président du comité de sécurité publique, la ville dépense environ 55 000 $ pour faire disparaître graffitis dans la ville chaque année. Imaginez-vous ce que diraient les archéologues et anthropologues si, 20 000 ans avant Jésus-Christ, le chef du village avait banni les peintures rupestres sur les murs des cavernes. Ils diraient peu de chose, car sans traces, notre préhistoire n’existerait certainement pas.

Que le conseil d’arrondissement ait permis un espace dédié au graff est un geste qui mérite d’être salué. Couplé à l’engagement de Bruno Rathbone, véritable Michael Jackson de l’aérosol, pour peindre le viaduc du Marché de la Gare, on peut affirmer que l’arrondissement reconnaît le graffiti. Cela dit, il est clair que les 100 pieds carrés de « mur légal » maintenant inaugurés ne feront pas descendre la facture des quelque 55 000 $ de sandblasting.

Si le conseil municipal souhaite changer les choses, il devra prendre le risque d’investir ne serait-ce que l’équivalent de cette facture afin de libérer chaque année des espaces pour le graffiti. On pourrait commencer par le bunker Jean-Besré qui a le teint un peu gris ou encore ancien poste de police. Il faudrait aussi que les gaffeurs et gaffeuses relèvent un peu le menton et s’affirment, démontrant par leur talent que faire du graffiti, c’est peindre avec l’index.

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