Anne Archambault, Grand chef de la Première Nation Malécite de Viger

Geneviève Génier Carrier, Mouton NOIR, Rimouski, juillet-août 2010

Le Bas-Saint-Laurent accueillera cet automne les activités de clôture de la Marche mondiale des femmes (MMF). Un de cinq champs d’action de cette édition québécoise 2010 porte sur la reconnaissance et le respect des droits des Premières Nations.

Le Mouton NOIR a rencontré Anne Archambault, Grand chef de la Première Nation Malécite de Viger et l’une des deux porte-parole de la MMF au Bas-Saint-Laurent.

Geneviève Génier CarrierEn tant que Grand chef malécite, comment voyez-vous votre rôle de porte-parole de la MMF ?

Anne Archambault – J’ai été surprise et honorée que la Table de concertation des groupes de femmes du Bas-Saint-Laurent m’approche pour être porte-parole des activités de clôture de la MMF. D’habitude, nous sommes obligés d’aller cogner aux portes, et de dire n’oubliez pas, la Nation est là. J’ai donc accepté la proposition avec joie et enthousiasme.

En tant que Grand chef, mon mandat est de défendre les droits et les intérêts de la Première Nation Malécite de Viger. J’essaie toujours de faire le pont entre les Blancs et les Malécites, car je pense que c’est en faisant des partenariats, des échanges, en faisant tomber les barrières du racisme, les qu’en-dira-t-on, que nous allons arriver à démystifier ce qu’est une Première Nation. […]

Je trouve très judicieux de la part de l’Association des femmes autochtones du Québec et de la MMF d’avoir choisi comme revendication la signature de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, car nous savons que plusieurs pays n’ont pas adhéré à cette déclaration, dont le Canada. Avec tout le travail qui a été fait dans la foulée de cette Déclaration par l’Instance permanente sur les questions autochtones, nous avons été abasourdis par la position canadienne. Même si le Canada a déclaré récemment qu’il avait l’intention de la signer, on se méfie, car le laps de temps entre la signature et la mise en œuvre des principes de la Déclaration peut être long.

G. G. C. – Quels sont les principaux enjeux qui touchent les femmes autochtones ?

A. A. – Nombreuses sont celles qui ont travaillé à l’amélioration de la situation des femmes autochtones. Je me souviens lorsque nous avons fondé l’Association des femmes autochtones du Québec, avec Evelyn O’Bomsawin Nous sommes allées jusqu’à Kuujjuaq afin de faire de la sensibilisation.

La violence a toujours été un sujet important pour les femmes autochtones du Québec et du Canada. Elle est partout, sous de nombreuses formes. Les femmes autochtones étant isolées dans les communautés éloignées, elles ont moins de recours. Lorsqu’elles quittent pour un grand centre, elles se retrouvent souvent confrontées à la barrière de la langue. C’est une autre forme d’isolement.

Une autre préoccupation importante est la place des femmes au niveau politique et administratif. Le problème majeur est le manque de relève. Il faut travailler dans ce sens-là. J’ai siégé toute seule pendant cinq ans à la table des chefs du Québec et du Labrador. Aujourd’hui, il y a 86 femmes élues au Québec comme chef conseiller ou Grand chef, ça commence. Pour améliorer la participation des femmes à la vie publique, il y a entre autres l’École Femmes et Démocratie qui offre des formations et des ateliers adaptés aux réalités démocratiques des femmes issues des Premières Nations.

G. G. C. – Depuis le dépôt du rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996, y a-t-il eu des gains ?Et qu’en est-il du droit à l’autonomie gouvernementale ?

A.   A.– Pour répondre à votre première question, non. J’aime lorsqu’on parle d’autonomie gouvernementale, ça me permet de dire, et de diffuser, que nous, les Premières Nations, nous avons un droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Et qu’on essaie de l’appliquer. Même si le Canada a reconnu ce droit, on ne nous donne pas d’opportunités et pas assez de moyens pour y parvenir.

Je siège actuellement à l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, à l’Assemblée des Premières Nations à l’échelle nationale, ainsi qu’au Congrès des chefs des Premières nations del’Atlantique. Ce sont sensiblement les mêmes problématiques qui reviennent. Les coupures de budgets, les problèmes récurrents en matière de logement, en santé et en éducation, et les femmes disparues sont des dossiers chauds.

Ça fait des années que nous avons des solutions, des façons de faire adaptées à nos réalités. On les soumet, mais elles sont rejetées du revers de la main, ou on nous répond que les budgets sont coupés. Je donne toujours l’exemple du dentiste. Maintenant, dans le programme de soins de santé et de soins dentaires, on n’a plus le droit aux couronnes. Souvent les gens n’ont pas les soins dentaires adéquats. Lorsqu’ils mangent, ils digèrent moins bien, ce qui engendre des problèmes d’estomac, des problèmes d’intestin, et oups, ils entrent dans le système de santé. Le gouvernement aurait avantage à étudier nos pistes de solution.

G. G. C. – Quelles sont les revendications spécifiques de la Première Nation Malécite de Viger ?

A. A. – Globalement ça revient toujours à mettre en action notre droit inhérent à l’autonomie gouvernementale. Nous sommes actuellement en négociations. […] Ce qui est flagrant aux yeux de tous, et ce, depuis plusieurs dizaines d’années, c’est qu’il y a une autoroute qui passe à Whitworth. Le ministère a d’ailleurs admis qu’il était dans le tort. Il y a aussi une piste cyclable qui passe sur la réserve, sans qu’il y ait eu consultation ou accommodement. Pourtant, avec l’arrêt IDA de la Cour suprême du Canada en 2002, les paliers gouvernementaux sont obligés de consulter et d’accommoder les Premières Nations pour les aménagements faits sur leur territoire.

Ce qui est malheureux, c’est qu’à un moment donné nous sommes poussés à poser des gestes drastiques pour nous faire entendre. Mais avant, nous essayons d’informer la population. L’opinion publique est importante, on veut être transparents. Je me fais une mission de faire tomber les barrières, d’éduquer les gens. On a visité les écoles du Kamouraska pour essayer de changer cette énergie-là. C’est sûr qu’on a beaucoup de pain sur la planche pour ce qui est des revendications. En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais cédé nos territoires. Et avec tous les sites archéologiques, ils n’auront pas le choix de reconnaître que nous étions là, que nous sommes là et que nous serons là.

La vision d’avenir que j’ai comme Grand chef, ce serait de permettre aux futures générations de s’appuyer sur un traité moderne, comme nous avons bénéficié du traité de 1 760 avec l’arrêt Marshall de la Cour Suprême qui m’a permis de sortir la communauté de l’impasse.

G. G. C. – Quel est votre souhait le plus cher pour les Premières Nations ?

A. A.– Ce que je souhaite pour les Premières Nations, c’est que nous puissions, à travers nos propres institutions, administrer nos programmes sociaux, économiques, culturels, de santé, etc., et appliquer notre droit inhérent à l’autonomie gouvernementale.

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