La soundtrack du Saint-Esprit

Justine Grenier, L’Itinéraire, Montréal, le 1er juin 2010

L’homme à la chemise verte lime dévale l’escalier juste avant que l’Itinéraire ne l’oblige à mettre un frein à sa course. « Si tu veux me parler, il faut que tu me suives, lance-t-il, souriant. On court ! » Philippe Bélanger n’est pas en retard à un dîner d’affaires ou à sa pratique de hockey. Il doit plutôt jouer la messe à la crypte, quelques instants après avoir terminé un concert à la basilique.

Le musicien est titulaire des orgues de l’Oratoire Saint-Joseph, juché sur le Mont-Royal. Ce passionné de 35 ans se hisse parmi les numéros un de l’orgue, aux côtés de ceux qui font vibrer Notre-Dame de Paris et la cathédrale Saint-Paul de Londres. Son joujou ? Un Beckerath de 5 811 tuyaux, majestueux, arrivé à l’oratoire en 1960. Philippe Bélanger s’illumine chaque fois qu’il en parle. Pour lui, c’est un exploit de rendre un tel monstre poétique et joli. « Il est gros comme un bloc de huit étages ! C’est tout un travail de moine de construire un orgue ». Philippe Bélanger sait de quoi il parle : dans sa maison trône l’une de ses créations.

Difficile de croire qu’un seul homme gère autant de décibels. Philippe Bélanger semble danser au centre de la tribune des orgues, jouant avec les boutons de flûte à fuseau, corde nuit, piccolo. Ses souliers en cuir verni volent au-dessus du pédalier. « J’aime jouer pour que ça sonne comme un orchestre ! »

Chemin de croix

« Ma langue maternelle, c’est la musique » se plaît-il à dire. Dans la maison familiale d’Aylmer, le bambin de trois ans imitait tout ce qu’il entendait : Bobino jazz – « je voulais être Oscar Peterson » – et quelques bouts du Nocturne de Chopin.

Son amour pour la musique c’est un jour mué en coup de foudre pour l’orgue. « Je suis tombé amoureux de la machine ! » Puis, tout s’enchaîne. À neuf ans, il décroche son premier boulot : organiste de l’église Saint-Paul. « Je suis arrivé avec mes partitions et mon coffre d’outils », ricane celui qui était également chargé de l’entretien de l’instrument. À dix ans, il est entré au Conservatoire de musique du Québec à Gatineau. Ensuite, il a suivi des études à McGill ainsi qu’à Oberlin en Ohio. Puis il s’est perfectionné auprès des plus grands : Marc Toews, Marie-Claire Alain et Daniel Roth, pour ne nommer que ceux-là. Enfin en 2002, « le rêve » : il est sacré titulaire des orgues de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal.

Rêve d’une vie, oui. Ce père de famille passera la sienne entre les murs de l’Oratoire. Épeurant ? « Oui et non. Je fais autre chose. Ça assure mon équilibre ». Le multiinstrumentaliste compose de la musique de films, se passionne pour les voitures anciennes et voyage à travers le monde comme concertiste et consultant. Tout ça, malgré la moyenne des 80 heures passées, par semaine, à l’Oratoire.

Ces jours-ci, pour conserver son équilibre aux côtés de l’autel et de la croix, Philippe Bélanger compose du rock. Étrange paradoxe que d’entendre la voix d’un rockeur dans le bureau de l’organiste pendant que, de l’autre côté du mur, des personnes louangent l’agneau de Dieu.

L’église dans le sang
 

Pour le musicien, un des problèmes est qu’en reniant l’Église les Canadiens renient aussi son instrument ; les églises ferment et les orgues sont vendus. « Il coûte jusqu’à 10 000 $ par année pour entretenir un orgue de paroisse. Les paroisses qui survivent tentent d’économiser et laissent les instruments se détériorer ». Sans compter que « Les vrais postes payants » se comptent sur les doigts de la main. « Je suis un des rares qui a un job à temps plein. »

L’organiste est conscient du rôle qu’a pris l’Église dans sa vie. « C’est particulier, car j’y ai toujours vécu ! » Selon lui, l’Église est une institution imparfaite, mais crée pour faire du bien. « L’église fait partie de notre ADN. Mon job, c’est d’en être la trame sonore. »

Pétillant, il peut s’emporter sur le sujet durant plusieurs heures. Le lieu sacré semble lui rendre cette passion qu’il a développée pour la spiritualité. Une petite Écriture sainte figure dans la basilique. « Rends-moi le son de la joie. »
 

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