L’Île à Félix

Jean-Marc Fournier, Journal Le Montagnard, Saint-Tite-des-Caps, mars 2010

« Quarante-deux milles de choses tranquilles

Pour oublier grande blessure dessous l’armure

Été hiver, y a le tour de l’île, l’Île d’Orléans ».

Félix Leclerc

J’ai grandi sur la rive sud du fleuve, juste en face de Sainte-Pétronille. Au temps de mon adolescence, nous faisions le tour de l’île à vélo, après la traversée du fleuve en bateau. Je garde bonne souvenance de l’île d’Orléans. Cette île demeure pour moi un joyau de la nature et du pays de nos ancêtres. Comme je l’aime ! J’écoute souvent le tour de l’île cité en exergue et je prends le temps de comprendre cette chanson, dans ses mots les plus profonds. N’est-ce pas cette chanson qui a fait connaître l’île et certains y achètent même une maison en fredonnant le tour de l’île. C’est particulièrement à partir de cette chanson qu’on a souvent dit que Félix Leclerc était un visionnaire.

Dans les écrits de Félix, on rencontre ce passage relatif à son île : J’aime mon pays parce que les saisons se retrouvent toujours bien à leur place, marquée par la nature et en accord avec elle. Lorsque je ne chanterai plus, je rencontrerai les gens. Je voudrais faire la tournée du laitier, prendre des nouvelles, discuter.

Les six paroisses de l’île n’auront jamais plus la visite de ce laitier itinérant, mais les saisons verront toujours les outardes se poser au bord du fleuve et provoqueront chez les citoyens les mêmes états d’âme. Quant à lui, l’artiste chansonnier a fait de l’Île d’Orléans son havre de paix orléanaise quand il a fait l’acquisition d’une partie de la ferme de Jo Pichette dans la municipalité Saint-Pierre. Félix accompagnait souvent l’ancien propriétaire lorsqu’il se rendait au marché Saint-Roch à Québec pour vendre ses produits de la ferme. Jo s’arrêtait souvent chez son beau-frère à Beauport où j’étais à loyer. J’avais ainsi occasion d’échanger quelques mots avec le poète. Il me paraissait toujours plutôt discret. Était-il tirelou affecté d’une grande peine qu’il chantait ? Était-ce pour chasser sa migraine qu’il accompagnait Jo au marché… ? Qu’il prenait la bêche en main pour l’aider à planter ses choux ?

Félix disait qu’il n’aimait pas chanter. Il exagérait à peine. Il y avait dans l’acte de se montrer en public, de se livrer aux regards, une violence qui secouait sa timidité (Jacques Bertin dans une biographie). Il consentait quand même à chanter dans de nombreuses veillées sans laisser paraître sa réticence et ce qui surprenait particulièrement les gens, c’est qu’en plus, il sifflait dans ses chansons. J’ai encore en mémoire un récital de deux heures qu’il avait livré au Séminaire Saint-Alphonse à Sainte-Anne-de-Beaupré. Un pied sur une chaise droite, avec sa voix grave et sa guitare, il m’avait littéralement envoûté.

 

Le poète-écrivain

 

Félix Leclerc n’est pas qu’un chanteur qui a su nous faire rêver. Il est à la fois auteur radiophonique, conteur, poète, dramaturge. Il témoigne d’un authentique don d’écrivain populaire. La nature, le rêve, la vie, la mort, l’amour, le pays, voilà les principaux thèmes de ses chansons, mais aussi de sa poésie et de ses créations théâtrales.

Il devient annonceur à la radio Québec, puis Trois-Rivières de 1934 à 1937. De 1939 à 1945, Félix agit comme comédien, mais surtout comme l’écrivain à Radio-Canada. Il écrit des textes pour des séries radiophoniques. La première série, composée de 38 émissions s’intitule : Je me souviens, la devise du Québec, et met en valeur les vieilles traditions et les problèmes sociaux du temps. La plupart des textes radiodiffusés sont mis en librairie sous la forme de trois recueils : Adagio (contes d’inspiration paysanne), Allegro (livre des fables), Andante (hymne à la vie). En 1946, Félix publiera Pieds nus dans l’aube, une autobiographie qui sera retenue comme manuel de base de l’enseignement du français au niveau primaire dans les écoles du Québec. Il publiera également plusieurs pièces de théâtre dont Théâtre de Village qui ne connaîtra cependant pas un grand succès.

 

Des oppositions mesquines

 

Dans les années 1950, l’Union des artistes a voulu interdire à l’artiste de se produire en public, parce qu’il ne faisait pas partie de cet organisme. Il optera alors pour un séjour prolongé en France où il reçut une ovation spontanée avant de revenir à son patelin québécois. Il avait alors livré cette chanson satirique, Contumace : Un habitant de l’Île Orléans philosophait Avec le vent, les p’tits oiseaux et la forêt Et il chantait à pleins poumons une chanson Bien inconnue dans les maisons de publication.

Félix Leclerc nous a quittés le 8 du 8e mois 1988 à 8 heures et 8 minutes. Je ne suis pas un adepte de l’occultisme. Néanmoins j’y trouve une relation qui m’intrigue. Le chiffre 8, selon l’interprétation répandue, est le signe de la pérennité. Une réalité, une richesse qui persiste à jamais. Dans ses productions, Félix voudrait voir grandir en chacun de nous, le courage, l’indépendance, la liberté et l’amour.

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