Touchés

Sylvie Gourde, Le Tour des Ponts, Saint-Anselme, 22 février 2010

Depuis le 12 janvier, nos yeux sont rivés sur Haïti. Nous glanons des images, des nouvelles à la radio, à la télé, dans les journaux et sur Internet afin d’imaginer l’inimaginable. Ces séquences ne nous permettent pas cependant de voir la couleur réelle du ciel, l’étendue du drame. Nous n’avons que pour seules mesures la grandeur de notre écran, les photos cadrées dans les médias écrits. Il y a tout ce qui déborde et que l’on ne voit pas.

Nous nous inquiétions d’abord pour le Père Gustave alors à Saint-Louis du Sud, dans les Cayes, en visite chez sa sœur Pauline, une religieuse qui œuvre aux quatre coins de ce pays depuis les décennies. Nous apprenions que les Marianistes avaient subi de lourdes pertes matérielles. Nous partagions l’angoisse de ces familles haïtiennes, nouvellement installées dans notre localité, qui étaient sans nouvelles des leurs. Nous pensions à la vingtaine de Québécois qui ont péri, ensevelis sous les décombres. Nous baisons notre regard pour honorer leur souvenir.

Nous sommes plusieurs Anselmois à avoir déjà arpenté la capitale, ses villes banlieues, ses « mornes », sois comme touristes, soit comme aides humanitaires. Je songe ici à Karine Audet, infirmière, qui fut secouriste, plusieurs mois, en 2005, à la suite du cyclone Jeanne. Haïti habite le cœur de notre communauté et aussi celui de centaines de Québécois et de Québécoises qui partagent leurs compétences, depuis plus de trois décennies, pour l’avenir économique de ce tout petit pays lourdement éprouvé. La présence de nombreux organismes sur place témoigne de cette fraternité.

Parmi les milliers de morts anonymes, perlent quelques petits miracles. On a réussi à extriper un peu plus de 150 survivants des gravats. Les témoignages demeurent saisissants. Et puis, il y a cette grande vague d’humanité qui déferle, ce tsunami de compassion. En quelques jours, des milliers de dollars ont été recueillis afin d’apporter d’urgence l’aide humanitaire, les médicaments, l’eau, la nourriture. Le peuple haïtien aura besoin encore, encore et encore d’être accompagné pour faire face au colossal travail de reconstruction. Car le pays a non seulement vu s’effondrer les édifices et les infrastructures, mais a été touché viscéralement par la perte de centaines de milliers de vies humaines, portant un très dur coup à l’État dans ses effectifs.

Le séisme qui a frappé Haïti s’avère la plus grave crise humanitaire à survenir depuis des décennies. Combien de temps et d’argent seront nécessaires pour combler cette profonde faille ? Impossible de lancer des chiffres. À court terme, il importe d’émerger de la phase humanitaire, de mesurer les dégâts, d’évaluer et de prévoir un plan d’action qui s’étalera à moyen terme et à long terme.

Au fil des semaines, la raison prendra le relais sur l’émotion générée par ce drame. Avec un peu de recul, il deviendra plus facile de faire face au gigantesque défi de ce chantier. Le peuple haïtien a survécu à 350 ans d’esclavage et de colonisation, à des décennies de dictature, d’oppression militaire, sans compter tous les cataclysmes naturels. Plus que jamais, il a besoin d’hommes et de femmes, de bonne volonté, prêts à travailler avec eux pour donner des leviers de développement plus solide tant au niveau de l’éducation, de la santé, de l’agriculture, de la main-d’œuvre, de la culture, que de la démocratie. Voilà une invitation de plus à être de francs camarades soucieux d’agir en mode collaboration afin qu’ils puissent demeurer maîtres de leur destin et réinventer Haïti.

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