Luc Dufresne et Jean-Claude Landry, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, 19 décembre 2009
À chaque année, la période des Fêtes est l’occasion pour de multiples organisations de se mobiliser afin de recueillir des fonds et des denrées destinées aux plus démunis. Mais cette année encore, les organismes qui, au jour le jour luttent contre la pauvreté et ses terribles conséquences pour ceux et celles qui la vivent rappellent que, face à ce fléau aux conséquences dramatiques, compassion et indignation devraient aller de pair. En effet, malgré les rituelles et récurrentes expressions de bonnes volontés qu’on entend publiquement, la pauvreté ne recule pas. Au contraire, elle tend plutôt à progresser, conséquence de forces et de décisions économiques et politiques qui la provoquent et l’entretiennent contrecarrant ainsi les timides initiatives privées ou publiques destinées à la combattre.
Ainsi au Québec, on aime bien rappeler qu’on a mieux résisté à la récession qu’ailleurs en Amérique du Nord, mais il reste qu’au total, on anticipe à 40 000 le nombre d’emplois perdus pour l’ensemble de l’année 2009. En plus, des emplois industriels bien rémunérés, souvent à temps complet, ont disparu et ont fait place à des emplois moins payants, à temps partiel, dans les services. Pour conserver leur emploi, plusieurs ont dû accepter une réduction de leurs heures de travail ou consentir des concessions salariales. De nombreux retraités ont vu leurs économies fondre avec la crise ou leur rente être réduite. On savait que la pauvreté avait changé de visage au fil des années, n’étant plus le lot des seuls bénéficiaires du «bien-être social». Voilà qu’avec l’actuelle crise économique, la pauvreté s’est « démocratisée ». Personne n’en est aujourd’hui à l’abri!
Aux pressions à la baisse qui pèsent sur les revenus des plus fragiles, se sont ajoutées des hausses importantes de coûts pour l’alimentation et le logement, deux postes essentiels dans les dépenses des ménages. Pas étonnant dans ces conditions que les banques alimentaires voient à la fois augmenter et se modifier leur clientèle, de plus en plus constituée de familles avec revenus d’emplois, mais qui sont insuffisants pour couvrir leurs besoins de base.
On s’attendrait de nos gouvernements qu’ils redistribuent équitablement la richesse par le biais de la fiscalité et de ses différents programmes. Mais avec la récession économique, aussi bien Québec qu’Ottawa se sont d’abord portés à la rescousse des entreprises pour les empêcher de sombrer, mais aussi avec l’espoir qu’elles contribueraient à relancer l’économie. L’augmentation des dépenses d’État pour contrer l’impact de la récession et la baisse des revenus gouvernementaux, due à cette même récession, ont eu comme résultat prévisible des déficits et un endettement accru des gouvernements.
Pour assainir les finances publiques, nos dirigeants politiques vont, selon toute vraisemblance, inviter les contribuables à « passer à la caisse ». Une vaste mise en scène se prépare pour nous « convaincre » de l’absolue nécessité de réduire les dépenses publiques, donc les services publics, et de hausser les taxes et les tarifs de ces mêmes services. Autant de mesures particulièrement difficiles à encaisser par les gens qui n’ont pas des revenus élevés.
Pourtant, en des temps plus prospères, ces mêmes gouvernements se sont empressés de baisser les impôts des entreprises et des particuliers, des mesures qui profitent peu aux gens moins favorisés. Autrement dit, en période de prospérité, ce sont surtout les mieux nantis qui en ont profité et en période de difficulté, on refile une grande partie de la facture à ceux qui sont moins favorisés.
Au troisième trimestre de cette année, les bénéfices d’exploitation des entreprises canadiennes atteignaient 54,1 milliards de dollars (G$), une hausse de 7,9% par rapport au trimestre précédent. Dans les milieux financiers, on renoue sans gêne avec les plantureux bonis. Si la sortie de crise, qui se pointe à l’horizon, risque de signifier «business as usual» pour les plus favorisés, celle-ci a toutes les chances d’être virtuelle pour les moins favorisés, de plus en plus nombreux d’ailleurs.
À défaut d’une indignation viscérale collective à l’égard de l’injustice et de la misère sociale, la pauvreté a un bel avenir devant elle.