Olivier Béland-Côté, Graffici, Gaspésie, juillet 2024
Dans un ancien garage automobile, un néo-Gaspésien d’origine japonaise rend hommage à un métier artisanal plutôt méconnu ici : souffleur de verre.
À peine ai-je entrouvert la porte du bâtiment qu’une bouffée de chaleur me gifle le visage, sensation possiblement accentuée par la température extérieure, à cette période du printemps où le mercure tutoie encore régulièrement le point de congélation. Au milieu de la pièce reconvertie en atelier, Tatsumi Komiya fait tournoyer une canne au bout de laquelle est fixé un morceau de verre incandescent. L’artisan semble lui aussi virevolter, comme entraîné par la musique qui emplit à ce moment l’espace. J’envisage de signaler ma présence quand mon regard s’arrête sur l’écriteau posé sur le comptoir caisse. On y prie d’attendre la fin de la manoeuvre en cours.
« On peut juste manipuler le verre pendant qu’il est chaud », m’explique celui qui s’afférait alors à confectionner un maneki-neko, une statuette porte-bonheur en forme de chat très populaire au Japon. « Donc, une fois qu’on commence, il faut se rendre jusqu’à la fin. »
L’attrait de la ruralité
Il y a maintenant cinq ans que Tatsumi Komiya a acquis un petit bâtiment autrefois dévolu à la mécanique automobile et qu’il a fait de Cap-Chat son chez-soi. Accompagné de sa conjointe Satomi, il débarque en 2019, à la faveur d’une occasion d’affaires qui tombait à point nommé. Le duo fondera La Maison des verriers, un atelier de verre soufflé. « Avoir son atelier, c’est le rêve de tous les verriers », confie l’homme originaire de Kanagawa, préfecture située tout près de Tokyo. « Avant d’immigrer au Québec, je pensais monter mon atelier à Montréal. Après, je suis allé à Mont-Tremblant et dans Charlevoix, c’est joli mais c’est assez cher. Ici, le prix était plus raisonnable. »
Si la possibilité de faire l’achat d’une bâtisse où il pourra travailler le verre consolide son arrivée dans la région, c’est, au fait, d’abord cette région, la Gaspésie des grands espaces et des petites communautés « tissées serrées », qui charme le couple et rend possible un projet certes inédit, mais rempli de sens. « Je m’intéresse plus à la campagne, au rythme de la vie qu’il y a ici, » révèle celui qui avait fait l’expérience des grandes agglomérations urbaines. « Ici, tout le monde se connaît. Quand je vais à l’épicerie, je reconnais des gens, on se dit «bonjour». »
Apprendre le métier
Les liens amicaux tissés par Tatsumi Komiya avec ses nouveaux concitoyens ont certainement été accélérés par sa maîtrise du français. Cette compétence peut de prime abord surprendre, à l’heure où l’anglais joue pratiquement partout le rôle de lingua franca. « Au Japon, comme dans beaucoup d’autres endroits dans le monde, ce qu’on apprend comme deuxième langue c’est l’anglais, explique l’artisan. Quand j’ai voulu quitter le Japon, on m’a demandé si je voulais aller aux États-Unis ou en Angleterre. Tout le monde pense qu’on veut aller dans des pays anglophones. Mais moi, j’aime mieux être minoritaire, faire à ma façon. Je suis donc allé en France. »
Formé dès l’âge de 16 ans par un maître verrier japonais, Tatsumi Komiya se dirige ainsi à l’ouest, dans le but de parfaire son savoir-faire. Il s’arrête dans un premier temps en Lorraine, où se trouve une école du verre, puis travaille dans le domaine près de Bourges, en plein coeur de l’Hexagone. « Je suis resté en France environ huit ans, raconte-t-il. C’est à ce moment-là que j’ai appris le français. »
Tranquillité qui inspire
Constamment aux aguets, mais également résolu à partager avec moi la passion qui l’habite, mon interlocuteur se lève de son siège à plusieurs occasions lors de notre entretien, ici pour vérifier l’état de la fournaise, là pour me montrer les pigments ajoutés à la verrerie ou de récentes créations, dont cette oeuvre émouvante intégrant les cendres d’une personne décédée, objet conçu à la demande d’un proche. « Travailler le verre, c’est une question de couches », explique-t-il, me tendant cette fois une création contenant du sable de la plage de Cap-Chat. « On intègre ces éléments entre deux couches. »
Bien qu’ils puissent parfois comporter une fonction utilitaire – l’artisan fabrique par exemple divers contenants, du vase à la coupe – les objets confectionnés par Tatsumi Komiya sont avant tout des créations artistiques émotionnellement chargées dont l’inspiration s’inscrit dans le rythme lent du territoire gaspésien. « Ici, on a plus de temps pour réfléchir à soi », philosophe le souffleur de verre, aussi appelé artiste verrier. « Ce n’est pas le paysage lui-même qui me donne de l’inspiration et de la créativité, mais c’est la tranquillité [qui l’accompagne]. »
Un art consommé
Le petit chat porte-bonheur réalisé par Tatsumi Komiya repose depuis déjà quelques minutes dans l’appareil cubique placé au fond de la pièce. Ce qui a l’apparence d’un coffre métallique est en fait un four dit « à refroidissement ». La température qu’il produit affiche un maigre…500 degrés Celsius. « Pour le verre, ce n’est pas très chaud! Il commence à se modifier à 580 degrés », souligne l’artisan. Cette opération sert ainsi à tempérer le verre qui autrement casserait sous l’effet d’un choc thermique.
Si un petit objet comme ce maneki-neko prend tout au plus une quinzaine de minutes à concevoir, les plus grandes créations peuvent prendre jusqu’à quelques heures. Cette durée reste en somme relativement courte. « Comparativement à d’autres matières, souffler le verre c’est assez rapide. »
La brièveté du processus ne réduit toutefois en rien la complexité de la technique, en fait foi la maîtrise du geste discernable à chacune des créations. « Pour toutes les pièces, il y a certaines difficultés, et ce n’est jamais la perfection, admet l’artiste verrier. Il y a toujours le risque de rater une pièce, mais chaque jour on essaie de s’améliorer, de perfectionner [la technique]. Travailler le verre, c’est comme faire de la cuisine. »
Le souffleur de verre peut en effet sembler reproduire les gestes du cuisinier, l’artisan oscillant entre le poste de travail où il façonne sa création et le petit four dans lequel il insère le fragment afin que celui-ci conserve sa chaleur. Chaque mouvement doit être d’une grande précision, comme le soufflage, qui consiste à propulser de l’air à l’intérieur du verre par l’entremise de la canne. À mesure que gonfle le fragment, les parois s’affinent et se durcissent. « Quand on travaille le verre, la température c’est très important, indique Tatsumi Komiya. Et on peut l’imaginer [la température], mais on ne peut pas la savoir exactement », rajoute-t-il, dévoilant la part d’impondérable du métier.
S’imprégner d’une culture
Au moment de notre rencontre, l’artiste verrier planchait sur la création des oeuvres qui seront offertes lors de la saison estivale, période achalandée en raison des touristes qui sillonnent la région. « En été, les Gaspésiens, on est occupés! », lance, sourire en coin, celui qui propose également des ateliers d’initiation au soufflage.
À ce point-ci, Tatsumi Komiya se considèret- il donc Québécois et Gaspésien? Selon lui, du travail reste à faire. « Je suis parti du Japon pour apprendre d’autres cultures. Et apprendre une culture, ça prend plusieurs années, signale-t-il. Théoriquement, je connais [la culture d’ici], mais ce n’est pas encore entré dans mon corps. Ce que je veux, ce n’est pas juste de connaître une culture, c’est de la ressentir. »