La plus haute distinction au Québec pour un justicier social

Marc Cochrane, Autour de l’Île, Île d’Orléans, Novembre 2022

 

Depuis une trentaine d’années, l’Orléanais Gérard Duhaime poursuit une quête : s’attaquer aux inégalités sociales dans le Nord circumpolaire. Ses efforts inlassables ont été reconnus puisqu’il recevra, le 30 novembre, au Palais Montcalm, la plus haute distinction décernée par le gouvernement du Québec dans les domaines de la culture et de la science : le Prix du Québec 2022.

Le résident de Saint-François mérite plus précisément le Prix Léon-Gérin Sciences humaines et sociales.

« C’est une grande fierté pour moi. Ce prix revêt une grande importance car il récompense le travail que j’ai effectué en sciences sociales. J’ai beaucoup fait valoir les sciences sociales afin de faire comprendre les problématiques dans ce domaine et afin que les autres disciplines, telles la médecin et le génie s’ouvrent aux sciences sociales », a confié ce pionnier des sciences sociales dans le Grand Nord.

Sociologue économique, Gérard Duhaime collige et décortique les données statistiques du Nord circumpolaire, ce grand territoire englobant une partie du Canada, de la Russie et des pays scandinaves, en plus de l’Alaska, de l’Islande et du Groenland.

Les principes de solidarité dictent que les citoyens du Nord ne devraient pas payer le lait deux fois plus cher que le reste du pays. Grâce aux travaux de ce titulaire d’une chaire de recherche du Canada, des programmes de réduction du coût de la vie permettent notamment de rétablir un peu l’équilibre.

Dès son enfance, le petit Gérard s’interroge sur le sort des autres. Pourquoi cet oncle adoré vit-il dans des conditions moins favorables que les siennes ? Pourquoi cette compagne de classe est-elle à l’écart ? Lorsqu’il assiste avec son père à une représentation de La Sagouine, la critique d’Antonine Maillet à l’égard de la société bien nantie est une révélation.

L’étudiant trouve sa voie à l’occasion d’un emploi d’été au Nunavik, dans un camp de recherche où il joue les cuisiniers. Traversant un village à pied à la sortie de l’avion, il découvre dans son propre pays une pauvreté et des conditions de vie quasi impensables. Le chemin est tracé : il consacrera sa carrière au monde autochtone et à l’Arctique circumpolaire.

Un baccalauréat et une maîtrise en science politique lui offrent une excellente base, mais le laissent sur sa faim. Il poursuit alors sa quête avec un doctorat en sociologie économique.

« Je me suis dit : Quand j’aurai répondu à mes questions, j’arrêterai l’université. » Le professeur en sociologie à l’Université Laval ajoute qu’il est encore là, après plus de 40 ans. C’est que derrière chaque découverte se cache un nouveau phénomène à décortiquer.

Pour cerner les sources des inégalités sociales, Gérard Duhaime a traversé un désert : les données fiables se font rares à l’époque. Kuujjuaq, Matimekosh, Kawawachikamach… Il sillonne le Nunavik au cours des années 1990 à la recherche des livres comptables ou des rapports financiers de diverses municipalités, entreprises et organisations afin de réaliser le premier portrait économique de la région. Au début du nouveau millénaire, l’initiative s’étend au Nord circumpolaire.

Aujourd’hui, le legs du chercheur comprend deux bases de données : ArcticStat et Nunivaat. Ses collaborations à l’international mènent aussi à la création du programme ECONOR. En harmonisant les statistiques socioéconomiques au-delà des frontières politiques, ce programme permet de suivre l’évolution de l’économie de l’Arctique circumpolaire et des inégalités sociales.

La solidarité, à la base des gouvernements, devrait nous inciter à mettre en place des mesures compensatoires, de l’avis du chercheur. Ses travaux donneront naissance à des programmes de réduction du coût de la vie et de promotion de la sécurité alimentaire.

Alléger ces pressions budgétaires influe ainsi sur la santé de la population en facilitant l’accès à des aliments sains.

Auteur prolifique

Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la condition autochtone comparée a publié de nombreux articles, chapitres d’ouvrages collectifs et rapports de recherche. Il compte à son actif une dizaine de livres, dont un roman qui met évidemment le Grand Nord à l’honneur.

Il est également détenteur de la Chaire Louis-Edmond Hamelin de recherche nordique en sciences sociales, qu’il a instituée en 1999 et qui est maintenant affiliée à l’Université de l’Arctique, dont il est membre fondateur.

En 2007, reconnaissant son expertise, l’Union scientifique internationale invite le sociologue à participer à l’organisation de l’Année polaire internationale, cet événement rarissime consacré à l’étude de l’Arctique comme de l’Antarctique. Or la programmation est déjà établie. Quelle déception !

On s’intéresse à l’épaisseur de la glace, aux oiseaux arctiques et aux ressources naturelles, mais aucune mention des collectivités humaines, encore moins des autochtones. C’est sans compter le leadership de Gérard Duhaime, qui mobilise alors ses contacts scientifiques, universitaires, gouvernementaux et autochtones. Résultat : la programmation intégrera l’aspect humain dans chacun des volets déjà établis, en plus d’en inclure un nouveau qui lui est entièrement dévolu. Tout au long de sa carrière, le sociologue créera des ponts entre les disciplines.

Le membre de l’Ordre du Canada entrevoit l’avenir avec optimisme.

« La valeur émancipatrice de l’éducation permet aux jeunes de dire : « Je ne vivrai pas dans la même société que mes parents, je vais l’organiser autrement. Je fais confiance à la marche des peuples, à ces vastes ensembles d’individus bienveillants qui vont dans la même direction. »

En 2019, Gérard Duhaime s’est rendu une fois de plus à Kuujjuarapik, un village sur les rives de la baie d’Hudson. Dans les allées d’une coopérative, le litre de lait affichait le même prix qu’à Québec. Lorsqu’il relate le fait, le regard brillant, on ressent toute la fierté de cet homme réservé. Chaque gain est porteur d’espoir.

M. Duhaime dirige 17 équipes de recherche sur les inégalités dans le Nord grâce au financement de 2,5 M$ sur cinq ans du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada.

Né à Chicoutimi, Gérard Duhaime a adopté l’île d’Orléans, la terre de son grand-père maternel, Joseph-Sylvio Narcisse Turcotte qui a habité au Manoir Mauvide-Genest qui a appartenu à la famille durant 100 ans. Il a demeuré à Sainte-Famille en 1983, mais habite à Saint-François, depuis 2010.

L’an 2022 marque le centième anniversaire des Concours littéraires et scientifiques à l’origine des Prix du Québec, tels que nous les connaissons aujourd’hui. Chaque récipiendaire reçoit :

  • une bourse non imposable de 30 000 $ ;
  • une médaille en argent réalisée par un.e artiste professionnel.le québécois.e gravée à son nom ;
  • un parchemin calligraphié, signé par le premier ministre et le ministre responsable ;
  • une épinglette en argent plaquée or.

Vignette : Gérard Duhaime, photographié à Kuujjuaq en 2011. ©Maxime Perrault