Yolande Jacob, gardienne des savoirs spirituels autochtones

Magali Boisvert, Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, Mars 2022

 

Cet entretien est la version longue exclusive au site web.

Madame Yolande Jacob ne cherche pas le feu des projecteurs, mais devrait pourtant en être illuminée. Elle possède toutefois la rare sagesse de reconnaitre sa propre valeur dans sa communauté. Portrait d’une femme inspirante.

La Gazette de la Mauricie : Comment vous présenteriez-vous ?

YJ : Tout d’abord, je me présente : je suis une femme atikamekw de Manawan. J’ai été élevée dans ma communauté en étant jeune. Je suis fière d’être une Autochtone et je suis fière aussi de pouvoir continuer à utiliser ce que nos grands-parents ont fait dans nos communautés. C’est une belle richesse que j’ai en ce moment, c’est ça qui me donne le gout de continuer à vivre et à prendre soin de moi. Je suis maman aussi, et je suis fière de travailler toujours dans le domaine culturel.

G : Jessica Petiquay, l’une de vos collègues au Centre d’amitié autochtone de Trois-Rivières, nous a donné votre nom quand on lui a demandé quelle femme inspirante mériterait un portrait. Pourquoi a-t-elle donné votre nom, selon vous?

Yolande Jacob : C’est peut-être parce que là où je travaille, je suis intervenante culturelle et c’est moi qui m’occupe des approches holistiques en lien avec le travail.

G : En quoi consiste votre poste d’intervenante culturelle, plus précisément ?

YJ : Les gens viennent me consulter quand ils veulent en savoir plus sur les approches culturelles. Ils vont me poser des questions, comme si une cérémonie est pertinente pour le travail ou si c’est ouvert à tous. Nos cérémonies sont quand même fermées, alors ils viennent me consulter avant d’y aller. C’est toujours le respect que je vois dans mon milieu de travail. On me respecte beaucoup et j’ai beaucoup de respect envers mes collègues. J’ai toujours été respectée, c’est peut-être parce que j’ai un rôle de guide spirituelle, en lien avec le travail.

yolande jacob
Mme Yolande Jacob est une femme atikamekw respectée dans sa communauté grâce à son rôle de guide spirituelle. Photo : Dominic Bérubé

G : Vous êtes respectée dans votre communauté, aussi, j’imagine ?

Oui. Je suis connue un peu partout parce que je suis souvent appelée à aller faire des ateliers, surtout avec des femmes, parce que j’ai quand même beaucoup de savoirs au niveau des approches holistiques, par exemple les cérémonies de pleine lune, que je fais seulement avec les femmes, pour les femmes. C’est un moment pour la femme de se ressourcer. Je dirige les cérémonies pour ça. Je fais aussi des cérémonies de nouveau-nés.

Je ne suis pas allée aux études pour ça. C’est en allant voir les ainés et en allant dans d’autres communautés que j’ai appris. J’ai été attirée par ça, j’avais soif de ça, j’avais le gout de manger tout ce qui était culturel, tout ce qui était en lien avec la spiritualité autochtone. C’est ça mon rôle, aujourd’hui. Je suis gardienne de cérémonies, je suis gardienne des objets sacrés. Je suis gardienne de calumet.

Je dis « gardienne », parce que ça ne m’appartient pas. Ils me l’ont offert, parce qu’ils croyaient en moi, en ce que j’étais. Je voulais apprendre, je voulais aller de l’avant, je n’ai jamais lâché. Ça fait des années que je suis là-dedans, et ça fait des années aussi que j’ai arrêté la consommation. J’étais tellement dépendante affective, j’ai appris à me connecter moi-même et à comprendre d’où je viens et qui je suis. J’ai appris beaucoup de choses par rapport à ce que j’ai vécu en étant enfant… Étant enfant, j’ai été arrachée de mes parents et je suis allée vivre loin de mes parents. Moi, j’appelle ça le pensionnat. Je l’ai vécu, tout ça. C’est pour ça que je ne veux pas arrêter de prendre soin de moi, d’aller de l’avant et de ne pas oublier que je dois aussi transmettre les enseignements à mes enfants pour qu’ils puissent le garder, le préserver, pour qu’ils puissent aussi le montrer à leurs enfants plus tard. C’est ça, mon souhait.

Parce que je vais toujours me souvenir de ce que mon grand-père me disait. Enfant, je ne comprenais pas vraiment ce qu’il essayait de me dire, il disait : « Toi, tu vas aller plus loin. » Et moi, je pensais que c’était au niveau de l’âge! Mais ce n’était pas nécessairement l’âge, c’était au niveau de la conscience, de l’apprentissage, de tous les savoirs — le savoir-vivre, le savoir-être. C’est ça qu’il essayait de me transmettre. J’ai toujours cette pensée-là. À chaque fois que je parle de lui, je pense qu’il m’a montré beaucoup de choses; travailler avec mes mains, aller en forêt… C’est ça, notre mode de vie, c’était aller en forêt. C’était ça notre médecine, aussi. Aujourd’hui, on a beaucoup de misère à se soigner avec notre propre médecine. Il n’y a presque plus de médecine, avec la coupe à blanc proche de nos communautés. C’est difficile maintenant, et j’ai peur pour mes petits-enfants. Est-ce qu’ils vont avoir de la facilité à se procurer de la médecine? En même temps, je me ramène à moi-même : c’est aujourd’hui que ça se passe, peut-être que ça va changer.

G : Vous avez mentionné travailler beaucoup avec les femmes. Est-ce que ça vous inspire, de les côtoyer ?

YJ : Ah, bien oui ! Juste aujourd’hui, je parlais avec une femme de la jupe qu’on porte dans nos cérémonies. Pendant la marche de Joyce, on portait cette jupe-là. Je parlais de ça avec elle, et je lui disais : « Sais-tu d’où est-ce que ça vient, la jupe, par rapport à moi ? » Moi, ça me vient de mon oncle. Mon oncle, avant qu’il décède, lui qui a été très malade, il m’avait parlé de la jupe. Il disait qu’il aimerait voir toutes les femmes se rassembler autour d’un cercle, et de se guérir entre elles, et de se guérir mutuellement par rapport à ce qui s’est passé aux pensionnats.

Il disait : « C’est avec ça que vous allez vous guérir, en vous respectant et en vous mettant en cercle. Parce que vous êtes des porteuses de vie, vous avez porté la vie pendant plusieurs mois et vous êtes une porteuse d’eau, l’eau de l’utérus. C’est tellement riche, c’est tellement sacré, ce que vous portez. » C’est ça qui m’a inspiré, moi, et c’est là que j’ai commencé à faire des jupes. J’en ai fait je ne sais pas combien, des jupes. Et je fais aussi des habits traditionnels, et ça me rappelle toujours mon oncle.

Il y avait des moqueries entre les femmes, et il disait : « Vous êtes censées vous respecter, vous êtes toutes belles et vous êtes inspirantes, les femmes. » C’est ça qui m’avait inspirée pour toujours honorer cet enseignement-là que j’ai reçu de sa part par rapport à tout ça, et je le fais tout le temps.

La fois où j’avais été demandée pour faire des jupes, c’est quand il y avait eu le décès d’une grand-mère, une kukum. Je tremblais en-dedans de moi, et je me disais : « Mais qu’est-ce que je vais faire? C’est une kukum qui est déjà partie dans le monde des esprits, qui va porter la jupe que je vais faire avec mes propres mains… » Je l’ai vraiment pris à cœur, je faisais des prières en même temps pendant que je faisais la jupe. Souvent, on me demande d’aller aider quand il y a des décès dans la famille proche, on va me demander d’aller faire une cérémonie parce que je fais une cérémonie de pardon, qui représente l’eau. Tout ce que je fais avec l’eau, je vais faire une prière. Je vais toujours me souvenir de ma grand-mère par rapport à l’eau, l’eau qui est importante pour la femme. Je le fais avec l’eau pour qu’on puisse toucher à l’eau ; chaque personne, chaque famille, chaque enfant, va aller faire un geste avec l’eau, et il va aller nettoyer soit au niveau du visage, soit au niveau de la main, pour remercier l’être cher qui s’apprête à partir.

C’est pour ça que je dis qu’il y a beaucoup de gens qui me connaissent. Je ne me lance pas des fleurs, mais je le fais naturellement aussi. J’ai appris à laisser aller les choses, à ne pas trop m’emballer avec les choses. J’attire les bonnes personnes qui veulent s’en sortir, c’est elles qui viennent à moi, ce n’est pas moi qui vais vers eux, c’est eux qui viennent à moi. Souvent, on me dit : « Toi, tu es comme un aimant. » Pourtant, je fais juste mon devoir.

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G : Qu’est-ce que vous souhaiteriez aux femmes, particulièrement aux femmes autochtones ?

YJ : Je leur souhaite de se guérir, parce que quand tu t’auto-guéris, quand tu t’écoutes, à l’intérieur de toi, c’est ça la guérison. Moi, j’ai arrêté d’aller me coller à un homme, par exemple, pour me soigner. C’est pas ça, la guérison, elle se fait à l’intérieur. J’ai envie de dire que si tu n’es pas capable d’aider la personne, aime-toi avant. De se respecter, de continuer à être ce qu’elles sont, parce que je sais qu’il y a plusieurs femmes qui sont debout malgré le pensionnat. Je connais un peu ce qui se passe chez les Autochtones. Il y en a qui sont révoltés, il y en a qui sont en train de vouloir se lever, puis justement, c’est ça que j’ai choisi. Maintenant, il faut se lever, à un moment donné, il faut continuer parce qu’il y a nos petits-enfants qui s’en viennent.

J’ai juste une fille et elle apprend beaucoup de moi depuis qu’elle est toute petite, et j’apprends beaucoup d’elle aussi. Je pense qu’elle est venue au monde pour m’enseigner à être moi-même. Moi, je n’ai pas eu le temps de voir mes parents, alors je profite du temps avec elle, je profite de ma famille, mes enfants. J’avais pas le gout d’utiliser la violence. Je préfère leur donner de l’amour, à mes enfants. C’est pour ça que j’ai décidé de faire la coupure avec l’alcool, la violence… J’ai choisi de me donner la chance de vivre sainement et amplement avec mes proches, malgré ce qui se passe encore avec nos communautés. Je me suis dit : « Prends soin de toi. » Tout simplement. C’est juste par la prière, par les cérémonies, qu’on peut aider les gens autour de nous.

G : Quels droits de la femme méritent encore d’être défendus, aujourd’hui, selon vous ?

YJ : Dans notre culture, il fallait juste que la femme soit à la maison. Ça ne fait pas longtemps qu’elle a été vue comme celle qui portait la vie. Ça ne fait pas longtemps qu’elles ont été respectées. Surtout que les hommes, quand ils partaient, à ma connaissance, de ce que j’entendais de mamans, elles étaient toujours toutes seules, et c’est les hommes qui partaient travailler, et c’est la femme qui restait à la maison. C’était la femme qui prenait soin des enfants et c’était la femme qui faisait le ménage, le lavage, qui allait chercher de l’eau. Et l’homme, quand il arrive, c’est lui qui apporte la nourriture, le gibier.

Quand j’ai eu connaissance que c’était terminé, et que la femme devait se lever aussi, pour dire : « C’est assez. » Quand ma mère m’avait parlé de ça, on m’avait dit que les hommes n’étaient pas du tout… d’accord avec ce qui avait été dit par rapport aux femmes. Alors moi, je suis pas mal certaine que c’est peut-être pour ça que nous sommes encore debout aujourd’hui, par rapport à la femme qui doit prendre sa place aussi.

G : Quelles femmes vous inspirent ?

YJ : Quand j’ai commencé à voir une femme faire une cérémonie, ça a été vraiment touchant. J’en revenais pas qu’une femme pouvait diriger des cérémonies aussi. C’était une femme Crie de Mistissini, elle s’appelle Mary Coon. J’étais comme… attirée par ce qu’elle était, et c’est à partir de ce moment-là que je voulais être comme elle. J’ai vu Mary Coon diriger une tente de sudation, et j’étais tellement impressionnée. C’était la première fois que je voyais une femme diriger un « sweat lodge« .

Je la côtoie toujours aujourd’hui. J’appelle toujours cette femme-là pour lui demander quelque chose, soit pour faire quelque chose par rapport aux cérémonies, soit pour, par exemple, lui demander de venir nous enseigner par rapport aux « regalia », qui veut dire « habits traditionnels ». Et elle m’a dit : « Je sais que tu es capable aussi. » J’en revenais pas, parce que je ne me voyais pas encore être capable de faire ça. Mais finalement, je suis capable de faire ça, je sais que je suis capable. J’ai confiance d’être capable de donner des enseignements aux autres personnes, aux familles, aux enfants, aux jeunes filles…

Quand je travaillais dans un centre de thérapie pour Autochtones, j’étais capable d’aller chercher l’enfant intérieur de chaque personne qui venait nous voir. J’étais capable de la guider jusqu’à ce qu’elle se retrouve, qu’elle retrouve d’où la blessure avait commencé, dans son enfance par exemple. Le guide me disait : « Je suis un peu jaloux, parce que j’en entends parler, j’ai entendu que t’es capable de faire ça. Moi, je ne suis pas capable de faire ça. Moi, je peux faire des cérémonies de deuil ou de pertes comme le cancer ou des maladies graves. On a chacun nos rôles à faire, et toi, tu es une femme qui aide l’enfant intérieur. » Et le calumet que j’avais reçu, c’était en lien avec le symbole de l’enfant intérieur.