Une étude menée récemment par la chercheuse atikamekw, Suzy Basile, a permis de saisir le profond attachement des femmes atikamekw à leur territoire et à leurs traditions passablement affectés par l’arrivée de « l’homme blanc ».

Les femmes atikamekw racontent leur territoire

Valérie Delage, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, juin 2017

Il y a quelques semaines, à l’occasion du jour de la Terre, Suzy Basile, chercheure à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, était de passage à Trois-Rivières. Originaire de Wemotaci, madame Basile nous a entretenus du « rôle des femmes atikamekw dans la gouvernance du territoire et des ressources naturelles ». Il s’agit du sujet de sa thèse de doctorat, qui lui a valu de devenir cet automne la première femme de la nation atikamekw à obtenir un tel diplôme.

Au cours de sa recherche, elle a mené des entrevues avec une trentaine de femmes atikamekw réparties dans les trois principales communautés du territoire, soit Wemotaci, Opitciwan et Manawan, qui regroupent environ 7800 personnes.

 

Le territoire, au cœur de la culture

Dans les témoignages de ces femmes, un mot revient souvent pour qualifier leur perception du territoire : « perte ». Pour décrire le sentiment d’insécurité territoriale et culturelle qu’elles vivent, madame Basile emploie le terme de solastalgie qui peut se définir comme « le sentiment d’impuissance ressenti par les personnes qui vivent un certain mal du pays tout en étant chez elles […] mais aussi qui se savent impuissantes à remédier à la situation ».

De fait, le territoire atikamekw a subi de profondes transformations au cours du temps. Parmi les changements importants, les femmes de cette nation ont relevé notamment les coupes forestières et les inondations causées par les grands barrages – la rivière Saint-Maurice en compte treize à elle seule – qui ont inondé de vaste étendues de territoires, comme par les petits aménagés successivement sur les cours d’eau. Ces interventions ont entrainé des pertes d’habitats fauniques, de plantes médicinales, mais aussi de lieux significatifs et sacrés, et parfois la contamination de l’eau (entre autres par le mercure libéré des sols inondés), des déménagements forcés, etc.

Par ailleurs, les femmes interrogées mentionnent souvent l’installation des Québécois sur leur territoire, en particulier pour y créer des lieux de villégiature, sans réelle consultation de leur peuple. Elles se sentent ainsi bafouées dans leur gestion du territoire selon le principe d’invitation, une manière ancestrale qui implique une réciprocité et un partage des territoires de chasse et de pêche. En effet, selon ce principe, une famille en invite une autre à venir chasser sur son territoire, à se rassembler et à partager le gibier lors de repas communautaires. Cette façon de faire permet de laisser reposer le territoire de la famille invitée afin d’en régénérer les ressources. Elle donne également aux femmes l’occasion d’entretenir leur réseau social et de transmettre aux plus jeunes leurs savoirs et leurs valeurs, telles que le respect, le partage, l’entraide, l’harmonie, l’amour et l’équilibre.Or l’octroi des baux de villégiature par le ministère des Ressources naturelles du Québec, sans consultation, invitation ou participation des Atikamekw, contrevient totalement à ce principe.

 

Femmes et gouvernance

Tout comme dans le reste du monde, les femmes autochtones du Québec ont encore beaucoup de chemin à parcourir pour obtenir leur place au sein des instances décisionnelles. À Manawan, toutefois, le conseil de bande est maintenant principalement composé de femmes, soit cinq pour deux hommes. « Je dois faire comme ma grand-mère, dire ma façon de penser, pour mes enfants et mes petits-enfants », explique l’une de ces conseillères.

Suzy Basile a été étonnée par l’excellente connaissance qu’ont ces femmes de la vie ancestrale : « Elles ont une très bonne mémoire jalonnée par les accouchements qu’elles ont vécus, qui sont des marqueurs temporels et spatiaux sur le territoire, même si la pratique des sages-femmes a presque disparu dans la communauté dans les années 1960, quand les femmes ont été obligées d’aller accoucher dans les hôpitaux. » Elles ont par conséquent perdu le droit de conserver le placenta, pourtant considéré comme un objet sacré, qu’elles brûlaient ou enterraient sous un arbre dans le but de consolider le lien d’attachement de l’enfant au territoire.

Les femmes atikamekw ont maintenant la volonté de retrouver l’équilibre, comme en témoigne le symbole du canot, qui leur est cher et qu’elles affichent fièrement. Ayez une petite pensée pour elles lorsque vous sillonnerez cet été les lacs du Nitaskinan, le territoire atikamekw, qui englobe une bonne partie de la Mauricie.