Laure Caillot et Melissa De La Fontaine. Photo : Alexandra Guellil

L’art d’être «Grano-éco-chic»

Alexandra Guellil, L’Itinéraire, Montréal, le 1er mai 2017

Dans l’appartement de Laure Caillot, « il n’y a rien de superflu ». Sa fille ne possède qu’un bac à jouets qu’elle peut ranger facilement le soir. À trois avec son conjoint, leur budget en alimentation est d’environ 80 à 100 $ par semaine. Ce qui couvre largement les déjeuners, lunchs et soupers de toute la famille.

Maman zéro déchet assumée jusqu’à avoir créé un blogue à ce sujet, Laure Caillot, 36 ans, a choisi d’acheter le plus possible des aliments bio, de saison et produits localement. « Je crois que chacun a sa limite. Nous, c’est le choix que nous avons fait, mais ça ne veut pas forcément dire que l’on est obligé d’acheter chacun de nos aliments uniquement s’ils sont bio, de saison et produits localement », explique-t-elle en prenant l’exemple de ce qu’il est possible de trouver dans les épiceries en vrac. « Elles ont des aliments de base qui coûtent moins cher comme la farine, du riz, des pâtes, des lentilles, ou des flocons d’avoine. Le zérodéchet reste un choix qui comporte plusieurs options. Le vrac en est une puisque certains producteurs achètent leurs produits par le volume. C’est pour cela que cela coûte vraiment moins cher au consommateur. »

Photo : Laure Caillot

À ses côtés, Mélissa de La Fontaine avec qui elle a pu animer une conférence dernièrement sur le mouvement zéro déchet. « C’est sur le long terme que ce type d’action peut être bénéfique sur les finances personnelles comme l’environnement », ajoute-t-elle. Elle aussi collabore à un blogue pour partager ses expériences de vie ainsi que ses réflexions.

À 29 ans, la jeune femme vit seule dans un 2 et ½ avec son oiseau. Elle ne se cache pas d’aimer les pots Mason et d’avoir en horreur les déchets. « Oui, c’est certain que si on fait toute notre épicerie à une même place, cela peut vite nous revenir cher, mais il y a d’autres alternatives. » Celle qui est aussi assistante à la réalisation de profession parle de sa hantise quasi viscérale du gaspillage alimentaire. « On perd des sommes plus importantes en jetant de la nourriture plutôt qu’en trouvant des solutions comme récupérer “les restes”. » Le mouvement zéro déchet, elle le suit en fonction de ses propres exigences. « J’ai une voiture que j’utilise pour le travail quand je n’ai pas le choix. Mais en ville, je me déplace généralement à vélo et un peu en transport en commun. Chacun y va avec son mode de vie. »

 

Penser différemment

En moyenne, Mélissa de La Fontaine dépense 50 $ par semaine en alimentation. Au moment où elle parle de son budget hebdomadaire, son cellulaire sonne, elle vient de recevoir un message d’une fruiterie de son quartier avec qui elle vient de passer un accord qui semble la satisfaire. « Chaque semaine, ils me feront une boîte non emballée où ils mettront les fruits et les légumes invendus de leur choix. Le tout pour environ 30 piasses. Ça coûte moins cher à tout le monde et ça évite d’utiliser des emballages ». Ce type d’arrangement n’est pas le premier que Mélissa de La Fontaine se permet de prendre avec les commerces de son quartier.

Ce changement de comportement est même devenu source de nombreuses blagues dans sa famille qu’elle considère comme aisée. Elle dit d’ailleurs être celle qui vit avec le moins d’argent. « Quand j’ai commencé à ramasser les “restes”, c’était comme moyennement bien vu. Maintenant, j’ai le culot de ramener les restants de toute la table au complet, je ramène un méga Tupperware. C’est rendu quasi une joke ! », raconte-t-elle un sourire aux lèvres. Mais, elle l’avoue, il faut quand même oser pour avoir une telle attitude. « J’ai un salaire quand même bas si on prend la moyenne des jeunes de ma génération. Mais tout ce que j’achète pour suivre ce mouvement zéro déchet, je le vois comme une ressource commune. Je ne veux pas gaspiller les choses que j’ai même si je peux en acheter d’autres. Même si je gagnais 100 000 $ par année, je ne voudrais pas plus gaspiller la pomme que je viens d’acheter parce que je considère que c’est un bien collectif et que je ne peux pas le gaspiller », souligne-t-elle.

Pour sa part, Laure Caillot a mis en place quelques petits rituels quotidiens comme le fait de conserver au congélateur les pelures de carottes, d’oignons, de pommes de terre ainsi que les queues de brocolis. Tout cela lui sert à préparer ses propres bouillons de légumes. « C’est essayer de penser comment on peut optimiser tout ce que nous pouvons consommer. Il y en a même qui parviennent à faire des chips avec des pelures de pommes. On est plus habitués à cuisiner les “restes”. Mais quand on mélange tout ensemble, on obtient simplement un touski et au besoin, on peut rajouter un œuf et cela donne une base d’omelette. Il suffit juste d’être créatif. »

Les deux jeunes femmes ne mangent pas ou peu de viande. Elles disent économiser un peu plus et respecter ainsi leurs convictions. Leurs protéines, elles les trouvent la plupart de temps en consommant plus de légumineuses. « Cela ne veut pas dire que pour être zéro déchet, il faut obligatoirement arrêter de manger de la viande. Ça dépend encore une fois des valeurs de chacun », insiste Laure Caillot.

 

Conscientisées

Le concept du zéro déchet a été popularisé par la publication du livre Zéro Déchet de Béa Johnson, une Franco-américaine qui dit vivre sans produire de déchet depuis 2008. Elle y parvient principalement en faisant le tri dans ses besoins et en recyclant. Avant même de connaître ce mouvement, Laure Caillot avait déjà certaines habitudes quotidiennes : elle préparait ses propres produits d’entretien ménager et utilisait des couches lavables pour sa fille. « Et un jour, j’ai découvert Béa Johnson qui a mis sur la mappece mouvement. Et c’est là que nous avons mis un mot sur nos gestes quotidiens.» La jeune femme qui travaille dans le domaine des médias numériques cherchait à bloguer autrement qu’en racontant ses voyages ou expériences d’expatriation.

« Grâce à des amis, j’ai voulu montrer l’envers du décor du zéro déchet qui convient à mon mode de vie. Il y a beaucoup de blogues à ce sujet, et c’est bien. Ce qui compte c’est que l’on fasse de quoi chacun à notre rythme en respectant nos propres contraintes. »

Quant à Mélissa de La Fontaine, c’est lors des fêtes de fin d’année qu’elle s’est questionnée sur la quantité importante de déchets produits. Elle ne comprenait pas comment dans une seule famille on pouvait utiliser autant de papier de soie. « J’ai remarqué que l’on consommait beaucoup de choses parce qu’on le pouvait, parce qu’elles étaient à moindre coût au Dollarama et que l’on ne se questionnait même plus sur les effets de ces choses-là sur l’environnement », explique-t-elle.

 

Simplicité ou pauvreté volontaire ?

Zéro déchet, minimalisme, simplicité volontaire ou consommation responsable, il peut être difficile de se retrouver dans l’ensemble de ces concepts. Pour Laure Caillot aussi, les distinctions ne sont pas aisées à faire. Elle se prête tout de même au jeu. « On pourrait dire que l’on suit un peu le concept du minimalisme dans le sens où l’on n’a pas beaucoup de choses dans la maison, explique-t-elle. Ma fille peut vider son bac de Lego au complet, ses jouets peuvent être étalés dans le salon, ça ne me dérange pas. Cela ne prendra pas plus de dix minutes le soir à tout ranger. »

Elle apprécie beaucoup ce côté pratico-pratique qui lui fait gagner du temps pour les tâches ménagères. Quand elle s’est plus impliquée dans le mouvement zéro déchet, les déménagements successifs avaient déjà fait le travail de réduction du matériel en surplus. « On avait peu de choses, mais on a quand même beaucoup désencombré. »

Quand la jeune mère cherche à définir la simplicité volontaire, elle se souvient d’un témoignage d’une maman qui l’a beaucoup marqué. Cette mère habitait dans Rosemont et avait posté son histoire sur les réseaux sociaux. « Elle disait que l’on parlait souvent de ce concept de la simplicité volontaire, mais que pour elle, ce n’était pas réellement un choix puisqu’elle n’avait pas ou peu de moyens. »

Dans cette lettre, cette maman expliquait que depuis son retour à l’école, elle vivait dans une certaine pauvreté volontaire jusqu’à avoir des difficultés à joindre les deux bouts. Elle ne parvenait pas à s’offrir le service de garde de l’école pour ses enfants, n’était toujours pas parvenue à payer les frais de la rentrée scolaire et considérait comme un cadeau le fait de s’offrir un café latté ou une bouteille de vin. « La simplicité volontaire, vous connaissez ? Nous on appelle ça la simplicité involontaire. C’est notre petit côté humoristique(…) Chez nous, il n’y a pas de surplus, si quelque chose rentre, quelque chose doit sortir », peut-on lire dans cette lettre.

Laure Caillot insiste donc sur le côté socio-économique de ce concept de simplicité volontaire qui fait que des choix quotidiens doivent être effectués pour survivre. « C’est bien beau ce concept, mais pour beaucoup de monde, ce n’est pas un choix ». Les partages sur les réseaux sociaux ont donné lieu à un élan de solidarité pour cette mère qui a pu recevoir de nombreux dons.

Quant à Mélissa de La Fontaine, elle insiste sur le côté marketing de certains mots qui ne sont pas si différents. Ainsi, « minimalisme » ou « simplicité volontaire » sont deux concepts qu’elle ne distingue pas. « Ce que j’apprécie par contre de tous ces mouvements, c’est le questionnement qu’ils nous poussent à avoir. A-t-on vraiment besoin d’avoir tous ces objets-là ? Nous rendent-ils réellement plus heureux ? »

 

Agir pour demain

C’est avec sa grand-mère que Laure Caillot aurait aimé le plus partager toutes ses découvertes. Tout ce qu’elle fait actuellement dans sa vie quotidienne se rapproche de ce qu’elle faisait. « Je me rends compte que je reviens à ce qu’elle faisait. Elle vivait en France, elle est décédée à 99 ans, a connu le rationnement et l’explosion de la société de la consommation. Elle connaissait la valeur d’un morceau de pain. Aujourd’hui, je pense que l’on est juste une génération plus conscientisée et que l’on est soumis à mieux comprendre les répercussions de nos gestes », partage-t-elle avec émotion.

À Montréal, Laure Caillot et Mélissa de La Fontaine ne sont pas les seules à suivre le mouvement zéro déchet. De plus en plus d’épiceries en font même leur marque de commerce. Rien que sur le groupe Facebook « Zéro déchet Montréal », le nombre de fans atteignait en avril dernier un peu plus de 4000 personnes. Toutes sont à la recherche de solutions pour réduire leur empreinte écologique.