L’exposition Pulpe Fiction de Sylvain Rivard

Michel Dumont, L’Itinéraire, Montréal, le 1er août 2016

Dans le cadre du festival Présence autochtone, Sylvain Rivard, un artiste multidisciplinaire abénaki d’origine, présente son exposition Pulpe Fiction. Son objectif: donner une voix aux Autochtones. Je l’ai rencontré à la Guilde canadienne des métiers d’arts, où est présentée son exposition jusqu’au 3 septembre.

M. Rivard, j’ai remarqué que le nom de votre exposition me rappelle beaucoup celui du film américain Fiction pulpeuse. Pourtant, les œuvres exposées sont autochtones. Pouvez-vous m’expliquer ce mélange?

Je souhaite aller au-delà des stéréotypes, pour rendre le tout urbain et accessible. Quand on pense à l’art autochtone, ce sont des images de la dame qui tisse sa petite poupée ou son petit panier, ou des sculptures en pierre qui nous viennent à l’esprit. Je veux amener ça aujourd’hui, plus actuel, dans le moment présent. Je veux aller au-delà, tout en m’en inspirant. Nos références doivent être plus contemporaines que celles des échanges de peaux, d’alcools et de fusils, Aujourd’hui, on est ailleurs.

 

Cela rejoint votre idée de retourner aux sources, en étant plus près de l’identité autochtone, mais au-delà du métissage culturel?

Que t’on soit autochtone ou québécois, ce n’est pas la question. De toute façon je suis les deux! Je n’ai jamais souhaité cocher qui j’étais réellement, je suis simplement canadien d’origine autochtone, né dans l’ouest de Montréal. Je ne veux pas d’étiquette, C’est mon choix. Plusieurs vont me présenter comme un artiste abénaki avant tout, alors que ce n’est pas le cas. Chacun de nous, nous sommes un petit peu de tout. C’est ça mon message. L’affaire autochtone, ça me tape sur les nerfs. On me demande toujours d’où je viens, et ça me dérange. Est-ce qu’on a toujours besoin de savoir? Je ne veux pas me sentir comme dans une boite, comme un GI-Joe, Dans mon art, il y a un peu de tout le monde. J’aimerais que chacun trouve un petit quelque chose à travers t’exposition et ce que je fais.

Une voix aux Autochtones

Photo : Mario Alberto Reyes Zamora

Parlant de votre exposition, vous présentez une douzaine d’œuvres qui réinterprètent la culture mythique et légendaire de la nation abénaquie. Pouvez-vous nous en parler davantage?

Pour mon exposition, ce sont des œuvres contemporaines inspirées du tissage des paniers. Elles offrent une interprétation plus actuelle, avec des types de papiers qui proviennent d’aussi loin que du Népal et de Cuba. Je n’en dirai pas plus! Le plus important, c’est que l’exposition participe à un événement autour du frêne, l’un des axes centraux du prochain festival Présence autochtone. Comme plusieurs le savent, on est en train d’abattre le frêne à Montréal. On souhaite que les gens prennent conscience de l’importance de cet arbre, que sa perte à Montréal doit être dénoncée. Pour les Abénakis, on ne vient pas d’Adam et Ève, mais du frêne. On en est sorti en chantant et en dansant. Moi, je suis comme un artiste en résidence pour le festival. Puisque je suis artiste multidisciplinaire, j’ai organisé tout l’événement et je me suis dit qu’on pourrait créer quelque chose de complet. d’hier à aujourd’hui. Les gens pourront donc voir tout ce qu’on fait avec le frêne. Au parc Émilie-Gamelin par exemple, des batteurs de frêne frapperont avec une hache sur des billots de bois pour faire lever ce qu’on appelle les anges de l’arche, des femmes feront des paniers, les hommes des fonds de chaise avec les anges de l’arche. Des légendes abénaquies seront aussi racontées. À travers un événement de topologie sauvage, des gens rebaptiseront des coins de rue inspirés de la culture abénaquie. Il n’y a pas assez de lieux à nom autochtone à Montréal.

 

Comme vous le dites. vous êtes multidisciplinaire, Vous faites du chant, du théâtre, de la danse. de la littérature pour enfants. des œuvres plastiques, À travers toutes ces formes, avez-vous un message principal à passer?

Peu importe la manière, je veux donner une voix aux Autochtones, qui n’en ont pas. Beaucoup n’ont pas cette chance. Moi j’ai travaillé fort. Je ne suis pas artiste pour être vedette, pour être aimé, mais bien pour avoir une voix et la donner à d’autres, Rien n’est plus plate pour quelqu’un que de se faire éteindre. Je souhaite faire parler les ancêtres, les pépères, les mémères, le monde de mon enfance, des gens du bois, Rita et Frère André … tout ce monde-là! Je pense que tous les artistes font ça pour ça.

 

C’est donc dire que vos origines abénaquies signifient beaucoup pour vous, En quoi vous influencent-elles dans votre art?

Elles me permettent d’utiliser la matière. J’ai deux maisons sur le bord d’un lac et je ramasse ma quenouille, je la sépare, je la tisse pour en faire des paniers. Je peux aussi la broyer pour en faire des sculptures. La matière, c’est le plus important. Ma plus grande admiration, je la porte pour mon grand-père. Il était blanc, alors que ma grand-mère était autochtone. Mais il maitrisait la matière, réussissait à tout faire avec un rien. C’est lui qui m’a tout montré : tisser, broder, coudre des mitaines en rat musqué en enlevant leur peau. J’ai eu deux paire toute ma vie, c’est as tuable. C’est beaucoup mieux que d’en acheter une paire à chaque année au Canadian Tire! À l’école, personne ne comprenait. Encore aujourd’hui, si on demande à un jeune les noms des arbres ou des oiseaux, il ne le sait pas! Quand je fais quelque chose, je sens toujours mes grands-parents à mes côtés. Le petit enfant est encore là, même quand j’aurai 80 ans il sera toujours là. J’ai besoin des yeux du p’tit gars.

 

Les autres camelots et moi, on a dû surmonter pas mal d’embuches. Est-ce que cela a été ton cas ? Comment as-tu réussi à les surpasser ?

Mon enfance n’était pas rough and tough, mais durant la première partie. J’ai été un peu délaissé par mon père et ma mère est partie quand j’étais tout petit. Cela a développé mon côté artistique. Je créais tout seul dans mon coin. Je n’avais besoin de rien : on n’avait qu’à me donner deux bâtons de popsicle ou deux cuillères en bois pour faire des marionnettes. Il ne faut jamais oublier que même si on peut être pauvre à l’extérieur, on est toujours riche à l’intérieur. On nait tous avec un coffre à outils. Ce que tu es en –dedans, il faut le garder. Quand il y a des situations qui ne sont pas belles, il faut apprendre à voir malgré tout le bon côté des choses.

 

Vous parlez beaucoup de donner une voix aux Autochtones, qui n’en ont pas. Les mentalités n’ont donc pas encore changé depuis votre enfance?

Aujourd’hui, ce sont de jeunes universitaires qui s’intéressent à la question autochtone. Ils sont allés à l’université, doivent avoir dans leur corpus des cours sur les Autochtones. Ils ont appris comment c’était dans les réserves, comment ça devrait être … Ils nous donnent leur façon de voir les choses en disant: « Non non, ce n’est pas ça l’art contemporain autochtone». La preuve : la recherche amérindienne aujourd’hui au Québec est dirigée par un Français! On est dans un autre colonialisme. Maintenant. c’est sont les gens cultivés qui croient nous apprendre qui nous sommes. Ils disent maintenant aux Autochtones: «Viens, je vais t’aider à te montrer qui tu es». Les Autochtones devraient avoir le droit de se définir comme ils veulent, Et nomme-moi un média à la télévision qui parle de l’art autochtone. Impossible, parce qu’il n’y en a pas. C’est pour ça aussi que je trouve important de donner une voix à tous ceux qui sont derrière moi.