Les journaux communautaires face à la COVID-19

Ana Jankovic

À l’époque qui a précédé la pandémie de Coronavirus au Québec, les journaux communautaires étaient confrontés à une réalité complexe. Ils étaient déjà en situation précaire en lien avec la stagnation et la perte des revenus publicitaires ainsi qu’avec les difficultés à monétiser leur publication numérique. Maintenant, plusieurs sont confrontés à la fermeture temporaire, à une diminution de leur tirage, à la perte de bénévoles…

Bon nombre de nos membres se portent bien et continuent de publier. Comment ces journaux, déjà diagnostiqués mourants, réussissent-ils à naviguer dans le tourment ? Comment font-ils la couverture de la pandémie et comment racontent-ils les histoires de leur milieu ? Voici le résumé des témoignages de journaux communautaires ayant accepté de partager leur expérience avec nous.

 

Témoignanges

Au fil de La Boyer a mis en place des outils de télétravail depuis un moment, donc l’équipe fonctionne bien et se sert de Face Time ou Zoom pour les rencontres d’équipe. Le défi résidait du côté des photos ; trouver comment se déplacer, prendre les photos, avoir la permission de photographier, etc. Financièrement, le journal s’en sort grâce aux annonceurs locaux généreux. Monsieur Proulx, le rédacteur en chef du journal, a donné l’exemple d’une clinique de médecine familiale qui publie des annonces dans le journal depuis des années. La clinique n’a plus besoin de nouveaux patients, au contraire, mais continuer d’acheter la publicité dans le journal est sa façon d’appuyer l’information locale. « La philanthropie locale fait vivre notre journal », souligne M. Proulx.

L’Écho de Saint-François a sorti un numéro « anthologie », a augmenté le nombre de pages, a produit sept articles couvrant la pandémie. Selon les mots de monsieur Laflamme, le rédacteur en chef du journal, le plus grand succès de l’équipe est que 80 % des annonceurs locaux ont renouvelé leur publicité annuelle. La production du journal n’a pas été compromise, mais, en ce qui concerne la livraison, il faudra mettre la main à la pâte. M. Laflamme a dû utiliser sa propre voiture pour aller chercher les exemplaires du journal directement chez l’imprimeur.

 

Pour le journal Tam Tam, de Matapédia et des Plateaux, le début de cette pandémie a correspondu à un vrai casse-tête. Le journal ne possède pas le site web et les membres de l’équipe ont dû diffuser l’information via la page Facebook du journal. Ils ont aussi éprouvé beaucoup de difficulté à imprimer le journal. Leur imprimeur devait prendre des mesures appropriées, étant donné qu’il embauche les gens handicapés. Sur le plan du financement, le journal fonctionne avec les contributions financières d’une soixantaine de commerçants locaux qui croient en la mission du journal. « Tam Tam est un outil de développement, de partage de projets et, surtout, un moyen de raconter la vie des gens », selon Jocelyne Gallant, la rédactrice en chef du journal. Madame Gallant souligne particulièrement « un élan de solidarité extraordinaire dans la communauté ». Elle ajoute que « les gens se sont mobilisés pour imprimer le journal en PDF et pour aller le porter aux personnes âgées ou à ceux qui ne possèdent pas de connexion Internet ».

Pour le journal Autour de l’île, la production du journal se maintient et la publicité est au rendez-vous. Le journal a bénéficié d’une subvention Facebook pour la couverture médiatique de la COVID19. Les annonceurs locaux ainsi que les députés ont fait preuve de solidarité. La publicité nationale reçue via CPS Media a aussi été d’une grande aide. Caroline Roberge, la présidente du journal souligne que le journal a tenu l’AGA via application Zoom. Elle juge l’expérience acceptable, mais déplore le manque de temps pour « les vrais échanges ».

Steven Roy-Cullen du journal La Gazette de la Mauricie, considère que le défi principal est la diminution du tirage de son journal. Le journal est passé d’un tirage de 18 000 exemplaires à un tirage de 10 000. Cette diminution s’explique par la fermeture des commerces qui distribuent le journal. La Gazette a reçu la subvention de Facebook pour la couverture médiatique de la pandémie et le journal est en voie d’obtenir un numéro de charité de Revenu Québec.

Le journal GRAFFICI a apprécié les revenus publicitaires venant des annonces gouvernementales. Plusieurs points de distribution du journal n’étaient pas accessibles à cause de la fermeture des commerces. Le journal a dû se tourner vers la poste pour envoyer ses exemplaires, ce qui a augmenté les frais de distribution. Toutes les activités touristiques et les festivals ont été annulés dans la région et le guide touristique que le journal produit normalement en juin ne sera pas publié cette année. Tous ces changements représentent des revenus publicitaires de moins, une diminution considérable pour ce journal gaspésien.

La réalité est particulièrement difficile pour le journal Le Trait d’union du Nord, de Fermont. La présidente, Louise Vachon, explique que son journal a complètement abandonné l’impression : « Les gens sont craintifs, personne ne veut toucher le papier, la peur de contagion est forte. » Le journal publie certaines nouvelles sur son site web et sur sa page Facebook. Selon les mots de Louise Vachon : « Le journal attend le déconfinement pour continuer parce que, dans le contexte où tous les organismes communautaires et les routes sont fermés, il est difficile de publier. »

Pour le journal Vues sur La Bourgogne le télétravail n’a pas de secret. Les membres de l’équipe se sont retrouvés avec un numéro de juin qui ne correspondait à la réalité. La rédaction a ajusté le tir et le numéro spécial à paraître en juin portera sur les organismes communautaires offrant leurs services lors de la pandémie.

Le Haut-Saint-François a pu continuer d’opérer grâce à la publicité gouvernementale. Pierre Hébert, l’éditeur du journal, se trouve « très choyé » avec ces revenus publicitaires supplémentaires provenant de campagnes gouvernementales.

L’Indice bohémien, mensuel culturel D’Abitibi-Témiscamingue, a connu des difficultés en lien avec la diminution du tirage. L’impression du journal a chuté de 7000 à 3000 exemplaires. À l’origine de cette diminution, on trouve les points de dépôts inaccessibles à cause la fermeture des entreprises locales et la peur qu’ont les gens de contracter le virus. La publicité locale a diminué considérablement et la directrice générale, Valérie Martinez, ignore de quoi sera constitué le contenu du numéro de septembre si tous les évènements cultures sont annulés.

 

En Estrie et à Montréal

Ici Brompton a dû reporter son édition spéciale Affaires prévue pour le mois d’avril. La distribution du journal souffre du contexte de la pandémie. Cela dit, les membres de l’équipe ont décidé d’expérimenter avec le numérique. Ils ont investi 60 $ dans des publicités ciblées sur Facebook et ils ont gagné un nombre considérable de nouveaux abonnés à leur page Facebook.

Entrée libre de Sherbrooke a aussi éprouvé les difficultés en ce qui concerne la distribution des exemplaires et envisage ainsi la diminution de son tirage. Sylvain Vigier, le rédacteur en chef du journal, réfléchit au type de contenu à produire dans ce contexte particulier.

L’Écho de Compton continue la publication du journal. Un partenariat avec la municipalité permet au journal de payer la distribution par la poste. Lisette Proulx, la présidente du journal, craint le non-renouvellement publicitaire de la part des annonceurs locaux. La rédactrice en chef, Danielle Goyette, souligne la grande créativité et la débrouillardise citoyenne. Elle souligne les rencontres virtuelles dans le café pour les aînés.

Gilles Paul-Hus, du journal L’Écho de mon village, a souligné la difficulté de publier un journal web viable dans les régions où l’internet haute vitesse est inexistant.

Journaldesvoisins.com a réussi à publier un numéro papier en avril. Quant à  la version web, les membres de l’équipe y publient chaque jour au moins trois nouvelles portant sur la COVID-19. Dans leur quartier Ahuntsic-Cartierville se trouvent deux hôpitaux et deux CHSLD, donc les sujets ne manquent pas. Le journal a aussi profité de la subvention du Facebook Journalism Project. Malgré les bons coups, Philipe Rachiele, l’éditeur adjoint, s’interroge sur l’avenir du journal et voit le financement et la publicité comme les principaux défis du journal.

Voilà comment les petites et moins petites publications orchestrées par les bénévoles et une poignée d’employés fonctionnent au temps du coronavirus. Leurs réalités sont différentes, mais leur désir de servir la communauté est le même. Derrière chaque journal communautaire, il y a des gens qui ont à coeur de servir leur communauté, l’information, la justice sociale, la démocratie. Ils sont vaillants, inspirants, convaincants. C’est la conclusion qui s’impose après avoir écouté les témoignages virtuels (deux rencontres ZOOM organisées par l’AMECQ en avril dernier). Nous vous laissons avec les mots empreints de vérité de Lucien Gélinas, le directeur du Bulletin des Chênaux et de Mékinac : « Nous sommes plus importants qu’on le pense ! »