Père Jean, aumônier : Quarante ans à l’écoute des détenus

Jean-Guy Deslauriers, L’Itinéraire, Montréal, le 15 mai 2016

Le père Jean a passé quarante années d'aumônerie derrière les barreaux à côtoyer les détenus. Il leur a offert un soutien moral inconditionnel et sans jugement. Aujourd'hui retraité, il demeure engagé auprès de ceux qu'il appelle ses « gars». Enfant rebelle et turbulent. André Patry grandit dans un contexte familial aimant et chaleureux ou te monde de la marginalité occupe une place sans étiquettes et sans préjugés. Alors qu'il a neuf ans, le malheur le frappe et sa mère s'éteint prématurément au très jeune âge de 49 ans. Son père, chrétien convaincu et non conformiste, va agir comme catalyseur dans le développement et les orientations, tant humaine que spirituelle et religieuse, de son fils. Après avoir complété son cours classique à l'externat, André va entrer dans une communauté religieuse. C’est là que la parole de Dieu prendra tout son sens et son importance.

Nous nous sommes rencontrés dans un café de la promenade Masson, un jeudi après-midi, sous un ciel hésitant pour y discuter de toutes ses années passées à côtoyer les prisonniers (marginalités, crime et rupture), dans une des plus dures prisons au pays : Bordeaux.

Pour les détenus, ses « gars», comme André aime si bien les appeler, il est père Jean, aumônier. Un être formidable et d'une grande bonté, qui a consacré pas moins de quarante années de sa vie, soit depuis 1969, à partager et à échanger avec ce monde méconnu de derrière les barreaux. Par son écoute, il leur a donné une plateforme sur laquelle ils peuvent s'exprimer en toute liberté dans une relation d'aide, d'amitié et de confiance. Un jour, à sa résidence de la rue Laval, Yves, un ancien détenu lui a dit: «Père Jean, savez-vous pour moi qui vous êtes? Vous représentez le monde spirituel, pas un curé, pas un prêtre. Le monde spirituel. Mon monde à moi, c'est un monde de mensonges. c'est un monde de phonies. Avec vous je suis en relation de vérité ».

« Ce jour-là, j'ai compris comment j'étais perçu par les détenus» André a toujours été attiré par ce côté marginal des gens. «C’est la marginalité des gens qui m’attirait quand j’étais jeune. Déjà, à un jeune âge, il aimait discuter avec les prostitués qui fréquentaient un restaurant voisin de la pharmacie de son père. Ça s’est fait de façon plutôt naturelle».

Il me raconte avoir été humanisé et évangélisé par les détenus. Humanisé, parce que quand tu es en relation avec des personnes profondément blessées, leurs blessures te révèlent tes propres blessures. Ça te permet de prendre conscience que t'es pas si différent que ça, sur beaucoup de choses.

Père Jean a un principe : l'accueil et l'amour inconditionnel des personnes. Les aimer telles qu'elles sont, comme elles sont et dans ce qu'elles sont. Ne jamais poser de questions â un détenu est une règle. Respecter son jardin secret et le laisser se dire. « Quand on les écoute parler, ça ne justifie pas l’acte, mais ça nous aide à comprendre pourquoi ils l'ont posé. »

Un jeune homme voit sa mère se faire battre et brutaliser à répétition par son beau-père. Agacé et exaspéré, il pète les plombs et s'en prend â son beau-père. Sous l'emprise du dégoût et de l'écœurement il tue son beau-père et écope de 17 ans de prison. Mais qui est le plus coupable l’agressif incontrôlable (le beau-père) ou le fils par amour pour sa mère?

Pour père Jean y'en a beaucoup d'incarcérés inutilement. Des gens qu'il aurait été préférable d'aider afin de faciliter leur réintégration en société ? «Ils ont commis un crime, mais Seigneur, c'est souvent des jeunes. Ils pourraient être orientés vers les différents services. Les envoyer à l'école du crime ne les aide vraiment pas ».

Ces gars-là, pour la plupart, viennent de familles dysfonctionnelles, de milieux criminogènes et de pauvreté. Il y a aussi ceux qui viennent de bonne famille, mais que les circonstances de la vie ont fait qu'ils se sont joints â des gangs marginalises et de mauvaise foi.

C’est épouvantable, combien de jeunes commettent des crimes sous l'influence des drogues et de l’alcool et ont beaucoup de mal à se pardonner. Un détenu un jour lui a confié: « Vous savez mon père, j'ai fait tellement de mal que quand je vais sortir je vais essayer de réparer le mal que foi fait en aidant les personnes âgées, en allant dans les hôpitaux ou en faisant du bénévolat».

 

Une réhabilitation pas toujours facile

 

À Bordeaux, il y a 600 détenus et autant de prévenus en attente de leur procès. Contrairement aux prévenus, les détenus peuvent travailler à la cuisine, à la buanderie ou être affectés â l'entretien général, soit à l’intérieur ou à l'extérieur. Il y en a qui vont à l’école (département académique), d’autres qui font de la musique, de la gymnastique, de la poterie et il y a ceux qui vont s'intéresser davantage à la radio communautaire (Souverains anonymes) et d'autres â l’écriture.

Au tiers de sa peine, le détenu devient admissible à une libération conditionnelle. Il doit préparer sa demande avec son agent de classement et démontrer qu'il est apte à réintégrer la société. Le rapport psychologique doit démontrer qu'il est fin prêt et sans risque de récidive, sinon il pourrait voir sa requête refusée et remise à une date ultérieure. Cela peut vouloir dire des mois, voire même des années d’attente. Certains ne seront jamais libérés. D'autres préfèrent mettre fin à leurs jours. «Le suicide est préoccupant. Un jeune détenu qui avait fait une tentative en s'accrochant avait été sauvé in extremis par d'autres détenus. Après avoir passé trois semaines dans le coma il m'a dit : «Quand j'ai poussé la chaise, j'ai essayé de m'enlever de là mais j'étais pu capable. La, j'voulais pu mourir, j'frai pu jamais ça». Aujourd'hui le nombre de suicides et de tentatives est à la baisse, notamment grâce â l'équipe de prévention du suicide spécialement formée pour leur venir en aide et au programme de prévention et d’accompagnement (le groupe des pairs) formé essentiellement de détenus et mis sur pied par une psychologue.

Avec la surpopulation dans les prisons, il est urgent d’agir. Il va y avoir encore plus de meurtres, de dérapages et d'émeutes. Il faut que ça change. Les prisons débordent. La plus belle approche pour le père Jean, c'est la justice réparatrice, un programme d'inclusion et de participation volontaire, où les victimes rencontrent leurs agresseurs. C'est un cheminement où t'agresseur prend conscience du mal qu'il a fait et la victime cherche à comprendre comment et pourquoi c'est arrivé. Le but du processus est axé sur la justice, la responsabilisation et la réparation : arriver après plusieurs sessions à une guérison intérieure et même â pouvoir pardonner. « Il ne faut désespérer de personne. Ni de soi-même, ni des autres. Moi, je crois que toute personne peut être amenée à un changement. J’ai vu des gars, des détenus, considérés comme trop dangereux pour la société et irrécupérables, se transformer complètement.»

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