De moins que rien à citoyen conscient

Steves Desponts, La Quête, Québec, ma 2016

Il y a déjà trois ans, j’écrivais deux articles dans l’édition spéciale sur l’itinérance du magazine La Quête (issuu.com/laquete/docs/la_quete_ numero_154_mai_2103). Le premier article, Plus qu’un refus global, un refus total ! , se voulait un exercice de sensibilisation. J’y expliquais comment les gens désaffiliés voient la société et pourquoi leurs comportements, souvent hétéroclites, sont difficiles à comprendre par le commun des mortels. Dans le deuxième texte, Parcours de vie, je relatais mes périodes d’itinérance. Je terminais mon écrit en mentionnant que « je vais tenter une approche différente dans la prochaine année…, tout en continuant à travailler à vous ouvrir les yeux ».

Trois ans plus tard, je me permets de faire le bilan de ce qui s’est passé depuis. Tout d’abord, un petit retour dans le passé s’impose, car j’avais déjà commencé mes différentes actions en 2010, avant même ma sortie de prison. Pendant mon incarcération, j’ai élaboré, avec un pair aidant de PECH, un plan de rétablissement qui visait deux choses : me constituer un réseau social satisfaisant et trouver l’amour. Pour le reste, je voulais changer tout ce que je trouvais inacceptable et injuste dans la société québécoise. J’avais commencé par la contestation et la revendication en initiant des manifs et des forums d’expression citoyenne de toute sorte avec l’aide de La ligue des droits et libertés, de La table de quartier l’EnGrEnAgE de Saint-Roch et de quelques autres groupes. Nos actions ont forcé le Centre de santé et de services sociaux (CSSS) à faire une enquête sur les maisons de chambre à Québec et à tenter de modifier le rôle des travailleurs sociaux et des infirmières afin qu’ils accompagnent les personnes les plus désaffiliées, etc.

À la fin de 2012, je me rendis bien compte que, plus on revendique, plus l’État oppose ses forces policières coercitives pour faire taire la démocratie et les citoyens. En cela, je remercie les policiers et les représentants politiques de Québec et de Montréal d’avoir frappé, matraqué, gazé, arrêté et incarcéré des collégiens et des universitaires. Vous avez grandement fait avancer une des causes à laquelle je voulais m’attaquer, soit la brutalité policière et le profilage social. Merci d’avoir été de grosses brutes avec ces jeunes qui seront, dans le futur, la prochaine élite qui nous gouvernera. Maintenant, ils savent à quoi s’en tenir avec vous. Encore une fois, sincère merci pour vous être montrés sous votre vrai jour !

Nous revoilà en 2013. J’avais décidé de changer mes façons de faire afin d’être plus efficace dans la réalisation de mes objectifs pour changer les choses. Pour moi, cela voulait dire être plus « dans la coopération et dans la concertation avec les acteurs concernés ». J’ai mis tous mes efforts au service de la frange de citoyens la plus abandonnée par le système : les pauvres, les toxicomanes, les prostitués, les personnes ayant des troubles de personnalité et de santé mentale, et les itinérants.

J’ai donc revendiqué et fait modifier les règlements de plus d’une dizaine de ressources communautaires afin que les utilisateurs obtiennent des sièges aux conseils d’administration de ces organismes. J’ai aussi démarré trois organismes avec l’aide de personnes ayant les mêmes intérêts que moi pour l’équité et la justice sociale : une Accorderie à Matane ; Droit de cité, une clinique d’accompagnement juridique ; et SPOT, une clinique communautaire de santé et d’enseignement. Tous ces organismes sont en lien avec la défavorisation sociale. J’ai porté la voix de ces personnes devant d’innombrables tribunes faisant valoir leurs droits et suggérant des façons de faire novatrices basées sur le respect et l’accueil inconditionnel pour l’obtention de services dans les domaines de la sécurité publique, de la justice et de la santé, et ce, au niveau des trois paliers de gouvernement. J’ai fait tout ça, en vivant, pendant quatre ans, dans des centres d’hébergement pour itinérants…, ce qui en impressionne plus d’un, encore aujourd’hui.

Au cours de ces années, j’ai souvent été confronté à des « décideurs » qui n’avaient aucune idée de ce que les citoyens que je défends vivaient au quotidien. Même s’ils sont complètement déconnectés de la réalité, ces décideurs prennent des décisions importantes concernant les plus désaffiliés. J’ai souvent douté de mes propres capacités à porter la voix des marginalisés et à donner la parole à ces gens qui vivent des difficultés de toute nature. Mais, aujourd’hui, quand je me replonge six ans auparavant, je réalise que ce que j’ai accompli de plus grand et de plus noble est d’avoir réussi à donner une voix et une écoute à ces gens, restés trop longtemps silencieux dans leurs souffrances.

 

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