Des larmes aux rires

Alberto Reyes Zamora, L’Itinéraire, Montréal, le 1er avril 2016

Guillaume Vermette est clown humanitaire. Son métier: faire rire dans des situations où l'on aurait envie de faire autrement. J'ai rencontré un personnage authentique et généreux. Il a beaucoup d'anecdotes et de souvenirs uniques. J'ai pu percevoir aussi un être au grand cœur et rempli de compassion.

 

Comment as-tu décidé de devenir clown?
J'avais 17 ans et je travaillais comme animateur dans une communauté inuite, à Salluit, dans le Grand Nord. Là-bas, mon nom, c’était Yahou. Il s'agissait d'un camp de science où nous étions obligés d'avoir un surnom en lien avec la communication et la technologie. Je l'ai choisi en référence au site web Yahoo, parce que c’est dynamique.

Ma touche personnelle est de récrire avec « o-u » et non « o-o ». Là-bas, je n'avais jamais vu d'enfants avec des yeux aussi tristes. Ça m'a beaucoup touché. J'ai connu des enfants qui se sont suicidés,  je me devais de faire quelque chose. Alors, avec le peu de congés que j'avais, je me suis improvisé comme clown. J'ai pris une perruque et des accessoires, je suis allé dans la rue, à la rencontre des gens. Je m'occupais d'eux, j'étais plus à l'écoute que drôle. Mon objectif était d'amener des étoiles dans les yeux de gens qui n'en avaient jamais.

 

Peux-tu nous décrire ton clown?
Les clowns se font avec les traits de personnalité de ceux qui les jouent. C'est un personnage qui se découvre et qui se « crée». Yahou, comme moi, a un côté plutôt enfantin et joueur. Il a beaucoup d'énergie. Il est romantique et nerveux en même temps. Il bouge constamment. C'est un grand sensible. Il ne sait pas trop comment s'habiller. Il porte un complet bleu poudre, c'est chic, mais il est comme en retard de quelques années (rires). Enfin, il a de l'eau dans la cave et il commence un show propre puis quand ça finit, il est tout croche.

 

Peut-on se mettre dans la peau d'un personnage tout en restant nous-mêmes?
Voilà la différence entre le théâtre traditionnel et le théâtre clownesque. Même quand j'incarne un extraterrestre, l'homme-lézard ou autre, je prends des aspects de ma personnalité qui fittent avec, j'en mets certains en évidence, ou je les descends un petit peu et j'adopte la démarche de cette bibite-Ià. Mais, que ce soit avec Yahou, mon Gugusse ou mon homme des cavernes, même s'ils ne se ressemblent pas du tout, il y a des patterns d'approche avec le public qui sont tes mêmes. Aussi, ils sont tous un peu nerveux et hyper contents de voir les gens.

 

Quelle est ta vision du travail de clown humanitaire?
J'ai surtout travaillé avec la solitude et la souffrance émotionnelle. Le clown est une belle façon de rentrer en contact avec les gens rapidement d'une manière légère et positive. En général, nous rencontrons des personnes qui n'ont pas choisi la situation qui leur arrive. Un clown humanitaire et thérapeutique est au service de la personne devant lui, peu importe ce qu'elle veut que je fasse: rire, danser ou l’écouter, je vais le faire pour lui redonner du pouvoir. Il s'agit souvent d'essayer de transformer cet univers-là qui est gris en quelque chose de plaisant et de créatif. Le clown qui débarque dans un pays et qui y fait du bien est aussi un symbole puissant qui suscite un espoir. C'est aussi un contraste immense entre ta souffrance et les bombes qui pètent juste à côté.

 

Ton travail est-il le même que le clown thérapeutique dans les hôpitaux ?
Nous faisons tous le même métier dans des contextes différents. Le clown d'intervention et le clown humanitaire sont ceux qui vont dans d'autres pays avec des contextes difficiles comme la guerre tandis que le clown thérapeutique, c'est le nom que se sont attribué les docteurs clowns dans les hôpitaux. À travers le monde, les approches sont très diversifiées, même au Québec. Ce qui va revenir, généralement, c'est qu'il y a un contact direct avec la personne et qu'il y a de la compassion.

 

Dans un contexte de guerre ou de conflits, à quel point le rire est-il une solution?
Le rire, c'est quelque chose qui est contagieux. Il peut être aussi une arme puissante pour diminuer l'envie de certaines personnes d'appuyer sur la gâchette.

 

Quelle est l'expérience la plus marquante de tes voyages ?
Je crois que c'est mon premier voyage avec Patch Adams, un pionnier dans le milieu du clown humanitaire, thérapeutique, social. C'était à l'occasion d'une tournée des orphelinats en Russie, en 2011. C'est aussi à cette époque que tout s'est confirmé: tous mes rêves qui ont mené à une panoplie de projets.

 

Ce qui explique ton lien particulier avec Patch Adams?
C'est une inspiration, un modèle, c'est Patch (rires). Pour moi, c'est mon ami bizarre, un peu intense. C'est un collègue et comme la majorité des gens avec qui je travaille dans ces missions-là, on crée des liens significatifs et différents qui sont difficiles à expliquer parce qu'on vit des choses très intenses ensemble.

 

Quel est le moment où tu t'es senti le plus impuissant. pris au dépourvu?
Je pense que c'était en Haïti, en 2013. Je ne m'attendais pas à voir autant de tristesse. Si je me ramasse dans des situations impliquant l'injustice ou des horreurs, je reviens souvent avec une bonne partie de moi qui a de l'espoir et qui y croit. En Haïti, j'ai eu l'impression d'être un peu dépassé parce que je n'ai pas réussi à identifier la cause ni la solution aux problèmes. Je ne sais pas trop pourquoi, mais ce pays m'est vraiment rentré dedans.

 

Quelle personne t'inspire le plus?
Mon grand modèle masculin s'appelait Théo. Il est décédé récemment. J'ai travaillé avec lui dans plusieurs missions différentes. Il était d'une douceur, d'une gentillesse incroyable et toujours de bonne humeur. C'était le meilleur clown au monde. Il donnait (a vedette à ta personne à côté de lui, ça, je trouve que c'est une belle qualité pour un clown, Son décès a été un choc pour moi. C'était un monsieur tellement humble qui a dédié toute sa vie à cette vocation. Il était prof de clown pour les personnes handicapées dans des écoles. Il n'avait jamais besoin de chicaner ou de donner de leçons, Il trouvait toujours une façon positive de le faire. Théo portait deux souliers différents chaque jour de sa vie. Pour lui rendre hommage, les enfants dans les écoles ont fait de même. C'était beau,

 

Faut- il prendre le clown au sérieux?
Malheureusement, certains se prennent beaucoup trop au sérieux. Mais je crois que le clown est là pour représenter, justement, les imperfections de l'homme. On voit souvent des clowns avec de gros égos se plaignant de ne pas être respectés comme les artistes devraient l'être. Faque, veut, veut pas, on a l'air absurde (rires). Quelque part, c'est notre job de représenter avec une certaine habilité ces imperfections, ce que monsieur et madame Tout-le-Monde regardent de haut. Justement, avec cette absurdité, cette simplicité, on peut aborder ces sujets comme personne d'autre. Et les gens vont rire et être touchés. C'est ce qui est magnifique!

 

Comment fais-tu pour mettre de côté les émotions dans des moments tragiques?
Il faut qu'elles soient un moteur et il faut qu'on les vive, sinon nous ne ferions pas ce métier. Il faut les utiliser de façon positive. Nous avons tous notre façon de vivre ces moments difficiles. Moi, je suis vraiment dans le moment présent. Et, en tant que clown, témoin d'une injustice, cela me donne juste plus de motivation pour en donner encore plus.

 

Comment fais-tu pour prendre de la distance?
Je pense que c'est à force d'en vivre et à force d'avoir une certaine perception sur les situations. C'est à partir de là que j'ai compris mon rôle et jusqu'où pouvait alter mon implication, ce que je pouvais faire ou pas. Et accepter mon impuissance tout en faisant tout ce qui est possible quand je peux le faire à fond, intensément. Et c'est souvent de toutes petites choses qui nous rendent fiers.

 

Comment gères-tu ton anxiété en tant que clown ?
Vers l'âge de 19 ans, je me suis dit : «Plus jamais l'anxiété ne va me paralyser et m'empêcher de réaliser mes rêves et de faire ce que j’aime». À partir de là, dès que j'avais une source d'anxiété, je fonçais dans l'tas. C'était une manière un peu intense de le faire. Peut-être trop intense. À un moment donné, il a fallu que j'apprenne à trouver un peu l'équilibre, en acceptant que l'anxiété fait partie de la vie de tout le monde, et de moi un peu plus que les autres. Et c'est aussi à ce moment-là que je me suis accordé le droit de m'arrêter. D'avoir eu à affronter autant de peurs irrationnelles et exagérées, mais aussi confronter les peurs normales, cela m'a permis de me rendre compte à quel point nous avons peur de beaucoup de choses. Et souvent pour les mauvaises raisons.

 

Quelles sont tes peurs aujourd'hui ?
J'ai peur de moi, justement parce que l'anxiété m'a déjà paralysé et m'a déjà empêché de vivre des belles choses, j'ai peur de ce côté-là de moi, qu'il ressurgisse. Je ne suis pas quelqu'un qui a beaucoup de peurs à part celle que j'ai de moi. Anxiété et peur sont deux choses très différentes, à mon avis.

 

Pourquoi est-ce important de rire ?
Je trouve qu'une journée sans rire est une journée perdue. Le rire est le chemin le plus court entre deux personnes. Il est universel, ultra communicatif et contagieux. C'est donc un outil formidable pour contrer cette morosité ambiante et tous les interdits que les gens se donnent. Un exemple commun est de s'interdire de sourire en public ou de dire bonjour aux gens. Pour moi, c'est un non-sens, tout ça. Et le rire, le ridicule, oser faire rire les gens est un outil sensationnel. J’aime ça! Je ris de ce dont la personne, devant moi, a envie. C'est beaucoup moins compromettant qu'un show d'humour parce qu'il y a moins de monde dans la salle qui peut être outré. Il y a juste cette personne et moi. Je fais ce qu'elle aime.

 

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