Pas question de manger ses bas

Réal Boisvert, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, avril 2016

Avec l’austérité qui n’en finit plus, bien manger est à la portée de moins en moins de monde. Derniers en liste, les bénéficiaires du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) du Bas-Saint-Laurent sont sur le point de voir le couperet libéral s’abattre dans leur assiette. La haute direction songe en effet à revoir les menus afin d’en exclure les aliments coûteux comme le poisson et les fruits de mer. Dans la foulée, coincés avec la nécessité de faire des compressions toujours plus imposantes, combien de CISSS emboîteront le pas ? Combien de Centres de la petite enfance devront renoncer à servir des repas aux enfants ? Combien d’écoles pourront encore offrir une collation aux élèves les plus défavorisés ?

Et que penser du scandale alimentaire qui accable les personnes qui vivent sous le seuil de faible revenu et celles qui reçoivent une aide financière de derniers recours ? Petit calcul édifiant. Il en coûte 180 $ par semaine à une famille comprenant deux adultes et deux enfants pour combler ses besoins nutritionnels de base. Ce montant représente 42 % du revenu d’une famille à faible revenu et 75 % de celui d’une famille qui reçoit des prestations d’aide sociale. Dans ce dernier cas, il va de soi qu’il est impossible de consacrer autant d’argent pour remplir le panier de provisions. Cela pour la simple raison que le paiement du loyer (minimum 600 $ par mois) passe avant celui des sacs d’épicerie. Dans les faits donc, une famille inscrite à l’aide sociale n’a en poche que le tiers de ce qu’il faut pour se nourrir convenablement.

Oui le tiers. Et dans ce tiers, on est bien loin de ce que recommande le Guide alimentaire canadien, tant il faut se résigner bien souvent à choisir des aliments procurant une satiété immédiate. Une telle alimentation riche en gras et en sucre favorise l’obésité. Mais surtout, le stress continuel de courir après la nourriture et celui, tellement plus cruel, de ne pas pourvoir correctement aux besoins alimentaires de ses enfants, finit à la longue par miner la santé. Pas surprenant au final que les personnes les moins bien nanties de notre société aient une espérance de vie de neuf ans inférieure à celle des personnes les plus favorisées.

Dans les circonstances, on ne dira jamais trop la nécessité de pouvoir compter sur tous les comptoirs alimentaires de la région. On ne soulignera jamais assez l’importance de Moisson Mauricie. On n’aura de cesse d’encourager toutes les initiatives menées en matière de cuisines collectives, de jardins communautaires ou de jardins de balcon. Mais là n’est pas la question.

La question est que nous vivons dans une société d’abondance. Les montants qui filent en évasion fiscale, ceux qui sont soustraits au fisc par les manipulations imaginatives des grandes firmes comptables, sans oublier, pour être honnête, les sommes englouties en gaspillage alimentaire (1 600 $ par famille, par année aux poubelles), oui, tout ça suffirait amplement pour nourrir tout le monde. La sécurité alimentaire au fait, c’est un point d’honneur pour toute société digne de ce nom. On ne peut pas faire de compromis là-dessus. Le temps est venu de faire en sorte que les plus riches ainsi que les avares et les cupides payent leur dû afin que personne ici ne soit réduit à manger ses bas pour vivre…

 

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