Agriculture durable et souveraineté alimentaire

À la recherche d’un monde de proximité…

Lionel Arsenault, La Gazette de la Mauricie, Trois, Rivières, mai 2015

 

L’histoire du Québec et de la Mauricie est marquée par l’agriculture, principal moyen de survivance économique, culturelle et sociale. Façonnés par notre passé agraire, plusieurs traits de notre identité collective, dont l’esprit de solidarité, nous imprègnent encore aujourd’hui.

Bien que l’agriculture ne constitue plus le centre de la vie communautaire des Mauriciennes et Mauriciens, elle continue sa mission essentielle de nous nourrir tout en permettant l’occupation dynamique de notre vaste territoire et le maintien de la qualité des paysages ruraux. Relève agricole et vitalité des communautés rurales

En Mauricie, le nombre d’entreprises agricoles diminue rapidement passant de 1111 en 2004 à 998 en 2010, ce qui représente une baisse de 10,2 %. Leurs propriétaires sont vieillissants. Seuls 30 % des plus de 55 ans ont identifié une relève. C’est donc une perte potentielle de 250 entreprises d’ici 5 à 10 ans. Cela signifiera moins de dynamisme du territoire agricole et une pression accrue sur la vitalité des communautés rurales.

 

Des choix locaux

 

Pour relever les défis de l’agroalimentaire en Mauricie, des actions se mènent à divers niveaux. Les MRC et villes font des choix. À Shawinigan, Trois-Rivières et dans les MRC de Maskinongé et des Chenaux, les intervenants du monde agricole, les municipalités et les citoyens se concertent dans le but de soutenir la relève agricole, les circuits courts agroalimentaires, l’agrotourisme et le développement des qualités entrepreneuriales des producteurs.

 

Et régionaux

 

Le Plan de développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Mauricie 2010-2015, élaboré sous l’égide de la Conférence régionale des élus, a permis d’élaborer une vision commune autour du thème : penser et agir collectivement pour réaliser un monde de proximité. Voilà des objectifs qui en découlent :

• Favoriser le développement des marchés de proximité en Mauricie et évaluer le potentiel de nouveaux marchés hors de la zone locale pour les produits distinctifs ou de spécialité.

• Favoriser l’achat local et améliorer la mise en marché des produits régionaux en assurant et en soutenant les initiatives d’identification et de valorisation de ceux-ci.

• Favoriser la transformation dans les entreprises agricoles et agroalimentaires.

 

 

L’écueil de la mondialisation

Alain Dumas

 

Sur une population de 7,3 milliards de personnes, 800 millions souffrent de la faim et un autre milliard d’insuffisance alimentaire. Devant un tel constat, comment fera-t-on pour nourrir 9,5 milliards d’humains en 2050? Pour y arriver, il faudra accroître la production agricole de 70 % selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Or, l’incorporation de l’agriculture dans les accords de libre-échange et la financiarisation de l’agriculture ne laissent présager rien de bon pour nourrir convenablement la planète. Le libre-échange tue la souveraineté alimentaire

La production agricole est de plus en plus concentrée entre les mains de grands propriétaires terriens. Au Québec, le nombre de fermes est passé de 140 000 à 26 000 en 50 ans. L’agriculture de proximité, celle des agriculteurs qui offrent une diversité d’aliments à des consommateurs proches, a donc cédé le pas à une agriculture industrielle spécialisée qui achemine les aliments produits vers les grands centres pour ensuite les redistribuer à la grandeur du territoire.

En parallèle, l’industrie agricole s’est mondialisée entre les mains de géants agro-industriels et de financiers. Ces derniers, dont la soif de profits est insatiable, exercent des pressions sur les gouvernements afin de soumettre l’agriculture au diktat du libre-échange. Qui dit libre-échange, dit spécialisation de la production agricole qui est exportée vers l’étranger. En retour, cela nous oblige à importer les aliments que nous ne produisons plus.

Le productivisme agricole mondialisé s’est donc installé, cependant que nous avons perdu le contrôle de la qualité et des conditions de production des aliments. Le Québec perd clairement de sa souveraineté alimentaire, comme en témoigne la diminution de la part des aliments québécois dans notre assiette, laquelle est passée de 78 % à 33 % en 25 ans!

 

Le libre-échange tue les régions et l’environnement

 

En réduisant l’agriculture à une simple machine à produire pour conquérir les marchés étrangers, et non plus pour nourrir la population locale, le libreéchange productiviste détruit le tissu social d’un pays. De gros spéculateurs financiers profitent de la rareté des terres agricoles pour les accaparer à des prix toujours plus élevés. Selon la Fédération de la relève agricole du Québec, le prix des terres agricoles a été multiplié par six en 20 ans. Il est donc très difficile, voire impossible, pour les jeunes d’assumer la relève agricole, et d’autant plus difficile pour les fermiers de concurrencer avec ces géants agro-industriels. Le libreéchange agricole tue donc l’agriculture et l’entrepreneuriat agricole local.

Le libre-échange agro-industriel est non seulement néfaste pour le développement régional, mais aussi pour l’environnement. Les géants agro-industriels sont les plus grands pollueurs des sources d’eau, à cause de l’utilisation intensive d’engrais très polluants. D’autre part, les aliments produits voyagent beaucoup plus, ce qui contribue à accroître les émissions de gaz à effet de serre.

Ce modèle est en train de montrer ses limites. Partout dans le monde, les rendements des cultures ne progressent plus.

 

Une agriculture de proximité

 

Devant un tel constat, le concept de souveraineté alimentaire s’avère une réelle alternative. Né lors du Sommet de l’alimentation de l’ONU à Rome en 1996, le concept désigne le droit d’un pays de définir une politique agricole et alimentaire adaptée à sa population et de protéger sa production agricole avec un objectif de nourrir durablement la population.

Pour ce faire, nous devons encourager le développement de différentes formes d’agriculture de proximité, de l’agriculture familiale à l’agriculture urbaine en passant par l’agriculture biologique respectueuse de l’environnement.

Pour ce faire, nous devons protéger notre agriculture, ce qui implique d’exclure l’agriculture des accords de libre-échange, de bloquer l’accaparement des terres par les spéculateurs financiers et d’imposer des tarifs douaniers aux produits importés qui entrent en concurrence avec les produits locaux. C’est la condition essentielle pour retrouver notre souveraineté alimentaire.

 

 

Quand les spéculateurs freinent la relève…

Marianne Mathis

 

En mars dernier, la question de l’accaparement des terres agricoles a occupé l’Assemblée nationale, la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et de l’alimentation (CAPERN) recevant différents intervenants afin d’analyser l’ampleur de ce phénomène.

Dans une économie de plus en plus financiarisée, la propriété du sol devient objet de spéculation. Or, l’acquisition de ces terres par des intérêts étrangers est directement liée à la question de la sécurité alimentaire.

Le phénomène d’accaparement des terres existe depuis longtemps, mais il est encore marginal au Québec, selon les plus récentes recherches menées par CIRANO en 2013. Par exemple, le rapport du Groupe AGÉCO, en 2012, concluait que 84 % des terres agricoles du Québec sont la propriété de leurs exploitants, signe qu’il s’agit toujours du modèle dominant.

Si la CAPERN a souhaité entendre des intervenants comme l’Union des producteurs agricoles, la Fédération de la Relève agricole ou des fonds d’investissement comme PANGEA, c’est que l’évolution de la hausse des prix, due à la spéculation, pose problème pour la relève agricole. Depuis quelques années, l’émergence des nouveaux modèles d’affaires, comme les modèles de location (AgriTerra), d’exploitation directe (Banque Nationale), d’intégration (Partenaires agricoles) ou de partenaires (PANGEA) suscite des questions dans le monde agricole.

Quel avenir peut-on espérer pour la relève agricole, si l’accès aux terres est trop difficile, parce que les prix sont élevés? Chose certaine, il faut espérer que les conclusions de l’examen mené dans le cadre de ce mandat d’initiative de l’Assemblée nationale donnent lieu à l’amorce d’une révision de la législation actuelle, qui permet à des non-résidents et à des fonds d’investissement d’acquérir les terres agricoles du Québec.

Comme société, n’est-il pas légitime de se demander qui peut s’approprier et posséder les terres agricoles du Québec? Il s’agit là de l’avenir de notre souveraineté alimentaire, un élément essentiel pour une société.

 

 

Nourrir sa propre économie

Jean-Yves Proulx

 

Le prix d’un produit est-il le seul facteur dont on devrait tenir compte lors de son achat ? En achetant des fruits et des légumes provenant du Mexique ou des États-Unis, nous favorisons l’emploi ailleurs et le chômage ici, ce qui accroît les dépenses publiques pour soutenir nos chômeurs et, par voie de conséquence, l’effort fiscal des citoyens.

Inversement, lorsque nous achetons des produits d’ici, c’est ici que nous créons des emplois et ces emplois entraînent des retombées économiques au sein de nos collectivités. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec affirme d’ailleurs que chaque pourcentage d’augmentation des ventes dans l’industrie alimentaire locale entraînerait la création de 1800 emplois. Paul Krugman, économiste au New York Times, résume bien ce cycle : « Tes dépenses sont mes revenus et tes revenus sont mes dépenses ».

Fort heureusement, certaines régions ont bien compris ce principe économique. À Baie-Saint-Paul, par exemple, quand on achète local, on accumule des points pour payer des services municipaux et même une partie des taxes municipales. Les villes de Mascouche et de Lévis ont aussi développé des concepts similaires.

 

Protéger l’environnement et notre santé

 

Des considérations environnementales et de santé sont également à prendre en compte. Les producteurs de fraises californiens font usage de fongicides à base de bromure de méthyle. Un produit interdit ici pour des raisons environnementales. L’importation de fruits et de légumes ne répondant pas à nos propres normes ne constitue-t-elle pas une concurrence véritablement déloyale?

 

Et que dire de la progression du cancer dans nos sociétés? Plusieurs experts pointent, parmi les facteurs explicatifs, un lien entre cette progression et les 4 millions de tonnes de pesticides utilisés annuellement sur la planète. Les pratiques de l’agroindustrie entraînent donc dans nos sociétés d’importants coûts en santé. Ne devraiton pas tenir compte, dans la détermination des prix des aliments issus de l’agriculture industrielle, de ce qu’il nous en coûte réellement? Une taxe sur les pesticides ne serait-elle pas aussi un outil tout indiqué pour rétablir l’équilibre?

 

 

« Manger local » en Mauricie

Joëlle Carle

 

Même s’il s’avère plus simple de tout acheter à l’épicerie, peu importe l’origine de l’aliment ou la saison, des gens recherchent un contact plus humain et se réapproprient les boulangeries, boucheries, poissonneries, microbrasseries, marchés publics et boutiques d’artisanat local. Et la Mauricie en offre de plus en plus l’occasion.

– Bonjour Amélie! As-tu passé une belle semaine?

– Salut Geneviève! Oui, une super semaine! Et toi, à la ferme?

– Oui, les cultures poussent bien, la météo est de notre côté! On a justement une betterave hâtive cette semaine. On l’a plantée en serre au printemps pour avoir une récolte plus tôt en saison. Et tu peux manger les feuilles crues ou cuites, c’est vraiment bon!

De nos jours, rares sont ceux qui vivent une telle proximité avec les gens qui les nourrissent. Si le productivisme agricole mondial a fait en sorte d’atténuer ce contact privilégié avec nos cultivateurs, éleveurs, producteurs laitiers, apiculteurs, acériculteurs et artisans qui travaillent à côté de chez nous, pour nous de plus en plus d’initiatives citoyennes visent à retrouver ce contact d’autrefois comme nous en avons fait précédemment mention dans ce dossier. Et notre région n’est pas en reste. Nous pouvons en effet compter, ici en Mauricie, sur une très grande offre de produits diversifiés qui nous permettrait de nous nourrir et de nous approvisionner localement à l’année. Pour y parvenir, il faut nous alimenter de saison et nous remettre à nos chaudrons et nos pots Mason. Il existe également sur le marché une grande quantité de produits transformés et congelés qui se conservent plusieurs mois et que nous pouvons déguster pendant les froids mois de l’hiver. Pour nous permettre de découvrir nos producteurs locaux, Tourisme Mauricie publiera en juin une brochure sur le tourisme agroalimentaire en Mauricie.

Cet été, nous pourrons donc jouer aux touristes, rencontrer les producteurs de chez nous et nous procurer de délicieux produits d’ici. Quoi de mieux pour reconnaître la valeur de nos producteurs et stimuler l’économie locale. D’autres initiatives existent, comme le Marché Mauricie, une version modifiée de l’Écomarché.ca, qui permet aux gens de Trois-Rivières et des environs de s’approvisionner facilement en offrant, par leur site Internet et la commande en ligne, les produits d’une trentaine de producteurs de la région. Des entrepreneurs comme les Coureurs des champs voient l’importance de valoriser les produits locaux, c’est pourquoi ils préparent des mets cuisinés à partir d’aliments biologiques, locaux ou équitables.

Cet été, parcourez les routes de la Mauricie et prenez le temps d’aller à la rencontre de nos producteurs d’ici. Vous serez surpris des ressources et de la beauté de notre territoire. Peut-être vous aussi connaîtrez-vous le nom des gens qui vous nourrissent.

 

 

 

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