Un trésor menacé au cœur de Val-David

René Derouin, Ski-se-Dit, Val-David, février 2015

Il y a quelques années, j’ai écrit dans le journal Ski-se-Dit de Val-David pour attirer l’attention sur le fait que nous assistons, chaque décennie, à la disparition d’une part de ce qui compose l’identité de notre municipalité. Au fil des ans, nous avons vu disparaître le moulin Leroux, où j’ai eu un atelier de peinture en 1964; la gare et le moulin Belisle’s Mill, vestiges de la naissance de Val-David; la Butte à Mathieu, lieu symbolique de notre histoire culturelle et le bureau de poste, situé rue de l’Église. Le retrait des bancs de l’église Saint-Jean-Baptiste a, pour sa part, contribué à évacuer la signification de cet édifice comme lieu de rassemblement de la communauté et de notre histoire.

À ce moment-là, je me suis dit que c’en était assez. Il me semblait important de prendre position. J’avais donc envoyé mon texte au journal, accompagné d’un dessin explicite, en ajoutant qu’à ce rythme, nous allions finir par fermer le cimetière pour y construire des condos. Pourquoi pas une belle place pour les vivants avec vue sur la rivière? On pourrait ainsi oublier les morts, car cela leur importe peu : ils sont morts en emportant leur histoire avec eux.

Un tournant important est survenu en 2009 lorsque mon ami Jacques Dufresne a vécu des moments difficiles avec son centre d’alimentation. Il était alors tiraillé par l’idée d’agrandir son commerce afin d’en assurer la survie. Les pressions étaient fortes pour le déplacer sur la 117 et en faire un magasin grand surface au sein d’un centre commercial, comme le souhaitait la chaîne Metro. Assis au restaurant Le Grand Pa, face à l’épicerie villageoise, je me disais que la fermeture du magasin d’alimentation signifierait la fin du village de Val-David. Nous allions être obligés de prendre nos voitures pour aller faire l’épicerie, imitant ainsi les désastres survenus un peu partout dans les Laurentides depuis l’arrivée des Walmart de ce monde.

J’ai donc proposé à Jacques Dufresne de réaliser une étude de son commerce et de revenir avec une proposition d’artiste. À la suite de cette démarche, le magasin a été repeint et nous avons ajouté une murale en hommage à la nature, intitulée Autour de mon jardin. Pour la réalisation de cette œuvre, Jacques Dufresne m’a remis les plans des lieux et des vues aériennes de Val-David. En consultant ces documents, ce fut un choc pour moi de découvrir un véritable trésor situé au beau milieu de Val-David : le couvent des Sœurs de Sainte-Anne. Les vues aériennes m’ont révélé l’existence de ce magnifique domaine situé le long de la rivière. J’avais peine à croire qu’une telle oasis, un véritable lieu patrimonial, existait encore au cœur de notre village.

Partout au Québec, des lieux semblables ont été sauvés de la spéculation sauvage grâce aux communautés religieuses. Ignoré par la plupart, ce, lieu devrait être connu de tous les citoyens de Val-David afin qu’ils puissent prendre conscience de cette richesse que nous avons encore au cœur de notre village. En circulant en voiture dans la rue de l’église, on ne peut imaginer la beauté de ces lieux et le mérite qu’ont les Sœurs de Sainte-Anne de les avoir sauvegardés pour notre avenir. Nous devrions leur dire, un grand merci d’avoir offert tout d’abord de vendre leur couvent à la municipalité. Imaginez le nombre de spéculateurs intéressés par l’acquisition et la transformation de ce domaine pour la construction résidentielle.

Nous devons faire vite pour préserver ce trésor patrimonial et empêcher toute forme de développement sauvage. Pour ce faire, il est essentiel de susciter et d’obtenir une grande adhésion citoyenne de la part des résidents actuels de Val-David, comme nous l’avons fait pour le projet du Metro Dufresne. Dans un dossier de plusieurs pages, le journal La Presse en arrivait récemment à un constat dévastateur sur le développement des Laurentides. Le taux d’occupation des hôtels se situe à 40 % et la route 117 est en train de devenir un nouveau boulevard Taschereau, soit une horreur susceptible de faire fuir tous les touristes du monde. Dans ces articles, Val-David obtenait une bonne note. On y citait la présence de bons restaurants, d’une belle rue villageoise et d’événements culturels majeurs. Notre mairesse Nicole Davidson y allait d’ailleurs d’une remarque très pertinente : « Nous n’avons pas de lac. Les gens viennent ici pour la communauté, le plein air et la culture. » Voici une observation très juste.

Nous devons être conscients de la solidité et de la pertinence de ces acquis, de ces belles réussites, mais tout cela demeure très fragile et pourrait disparaître rapidement. En tant que résident de Val-David et comme beaucoup de mes concitoyens, j’ai peur que notre municipalité se développe à l’image de Saint-Sauveur et de ce type d’environnement hyper commercialisé. Ce danger est véritable et nous devons nous en inquiéter. Imaginez ce que l’ajout de deux cents unités de condos au domaine des Sœurs de Sainte-Anne provoquerait sur le plan de la densification du centre villageois. Val-David court le risque de subir les conséquences d’un développement sauvage de la part de spéculateurs uniquement guidés par leurs intérêts financiers.

En terminant, je pense qu’il est important de dire merci aux Sœurs de Sainte-Anne et à toutes les bénévoles qui se sont battues récemment pour sauver nos écoles et nos institutions. Merci aussi à tous les gens qui ont sauvé le Parc régional de Val-David–Val-Morin et à Jacques Dufresne, qui a su conserver notre épicerie au cœur de Val-David. Ce village peut compter sur des citoyens engagés et possède les ressources nécessaires pour sauvegarder le domaine des Sœurs de Sainte-Anne et préserver une part de notre patrimoine. Nous devons conserver ces lieux de mémoire, parties intégrantes de notre histoire. Il est essentiel d’informer les citoyens de la nature et de l’importance de ces enjeux, de tenir de bonnes discussions et de mettre en place une vision d’avenir conséquente. Tous doivent être informés des conséquences d’une éventuelle inaction de notre part. Si nous devenons comme Saint-Sauveur, nous en saurons au moins les raisons.

 

classé sous : Non classé