Audrey Tawel-Thibert, Le Sentier, Cacouna, novembre 2014
Le samedi 11 octobre, une marche citoyenne comptant environ 2 000 personnes fut organisée à Cacouna dans le comté de Rivière-du-Loup. Cette action collective avait pour but de protester contre le projet de port pétrolier proposé par la compagnie albertaine TransCanada. Étant donné ma formation en environnement et en politique, en plus de mon amour pour la vie marine, aucune personne me connaissant ne fut étonnée que j’aie fait un total de 12 heures de transport cette journée- là pour aller manifester.
Un processus politique présentant d’importantes failles selon les militants
Le gouvernement provincial de Philippe Couillard avait précédemment donné son accord pour des travaux de forage dans le fleuve Saint-Laurent avant même d’avoir procédé à une analyse scientifique. Récemment, une injonction ordonnée par la Cour avait fait cesser les travaux préliminaires jusqu’au 15 octobre, soit quatre jours après la manifestation. La population opposée à ce projet refusait donc de voir les travaux reprendre. Le grand enjeu inquiétant, c’est que les travaux prennent place à Cacouna, directement dans la pouponnière des bélugas du fleuve. Le risque de déversement élevé, le dérangement quotidien causé par la circulation maritime accrue ainsi que la pollution sonore (à cause du carottage) sont des éléments non négligeables qui ont une incidence directe sur la population de bélugas déjà actuellement en déclin dans le Saint-Laurent.
La population des bélugas en danger
En effet, cette dernière est estimée à moins d’un millier. Cet été seulement, près d’une dizaine de carcasses de bélugas (dont des veaux, soit des bébés bélugas) ont d’ailleurs été retrouvées gisant sur les berges du fleuve à Cacouna. Les causes potentielles sont nombreuses : cancers, haut taux de mercure et autres substances toxiques dues à la pollution humaine, mort par étouffement suite à l’absorption d’un déchet quelconque (filet de pêche perdu, sac de plastique jeté, etc.). Donc, le moment n’est réellement pas propice pour ajouter à tout cela un port pétrolier.
Une marche pacifique aux côtés de représentants de partis politiques
À la petite église de la municipalité de Cacouna, se sont rassemblés des gens de toutes les régions; Laurentides, Montréal, Québec, Estrie, Rimouski, et j’en passe. Toutes les générations se côtoyaient, allant des bébés accompagnés de leurs parents aux aînés, en passant par les jeunes adultes de mon âge. Des slogans tels que Sauvons les bélugas, non à TransCanada et À qui le fleuve? À nous le fleuve! étaient scandés et de la musique rythmait la marche. Le Bloc québécois et Québec solidaire, en plus de quelques députés, opposés au projet, étaient présents et se sont prononcés avant que la population se rende au port de Gros-Cacouna. Humoristes, slameurs et chefs d’organisations environnementales ont uni leurs voix sur la scène. Plusieurs médias étaient sur place.
Deux perspectives
Ici s’opposent les domaines de l’environnement et de l’économie. TransCanada réplique à l’opposition en brandissant les chiffres : le projet Énergie-Est rapporterait six milliards de dollars au produit intérieur brut (PIB) du Québec et créerait plus de 3 000 emplois à temps plein durant les six premières années de vie du projet. C’est à considérer. Mais le tourisme relatif à l’observation de baleines à Cacouna, qui crée bien sûr de l’emploi, est un aspect non négligeable qui a des retombées vitales pour la petite municipalité. Si ces mammifères marins disparaissent pour cause de migration ou de décès, le tourisme en sera grandement affecté, sans parler de toute la biodiversité du fleuve, du débalancement de la chaîne alimentaire qui engendrera des conséquences définitives. Une zone de protection de 540 mètres a été établie près du site de forage : si un cétacé s’en approche, la compagnie doit cesser temporairement ses activités. Mais est-ce suffisant? Et est-ce que ce sera respecté? L’ouïe des mammifères marins est si sensible.
Des vigiles surveillent
Aucun plan d’urgence n’a été établi par TransCanada lorsqu’il y aura des fuites de pépétrole – on ne peut même pas se permettre de parler hypothétiquement, car oui, des fuites auront lieu, et il est impossible de récupérer tout le pétrole. Des vigiles sont présentes chaque jour à Cacouna pour surveiller les allées et venues du superpétrolier; en effet, ce dernier n’a droit qu’à un aller-retour par jour pour minimiser l’impact sur la faune marine du fleuve, tel qu’énoncé par la Cour, mais des gens locaux ont rapporté avoir compté jusqu’à neuf allers-retours en une journée, dates et heures dûment notées à l’appui.
Réflexion
Le fleuve Saint-Laurent est notre joyau québécois, mais dans quel état sera-t-il laissé en héritage à nos enfants et petits-enfants? Les retombées économiques importantes devraient-elles être priorisées pour assurer un avantage financier au Québec? Comment parvenir à un compromis pour que les intérêts économiques et environnementaux soient comblés dans un monde capitaliste? À vous de vous forger une opinion, chers lecteurs!
Une plainte avec preuves
À l’heure actuelle des travaux effectués par TransCanada sans autorisation, en avril de cette année, forcent Québec à poursuivre la compagnie pétrolière. De fait, des groupes tels que la Fondation David Suzuki, le Centre québécois du droit de l’environnement et autres ont déposé une plainte officielle avec preuves statuant que TransCanada aurait procédé à des levées géophysiques dans la zone de reproduction des bélugas sans certificat d’autorisation au printemps dernier.
À la fin octobre, des fonctionnaires sont en train d’évaluer la seconde proposition de TransCanada (la première ayant été jugée insuffisante), en matière de procédures de minimisation du bruit pour la protection des mammifères marins. Au moment de mettre sous presse, TransCanada venait d’approcher l’Institut des sciences de la mer de l’Université du Québec à Rimouski afin de lui offrir un financement de chaire de recherche sur les bélugas du Saint-Laurent étalé sur cinq ans. La décision sera prise suite aux prochaines rencontres prévues d’ici la fin de l’année.